FRANCE/ALLEMAGNE (3) LA DISSUASION NUCLEAIRE

Et si l’idée d’un parapluie nucléaire européen, effectué par la France, n’était pas une idée nouvelle ? Le futur chancelier allemand Friedrich Merz avait évoqué l’idée, le président Emmanuel Macron y est favorable. Mais il semble que l’idée ne soit pas si nouvelle qu’il ne paraisse.

D’où vient le souhait de souveraineté absolue?

 La France d’aujourd’hui vit toujours des idées de base d’un génie qui s’appelle Charles de Gaulle. 56 ans après sa démission il faut lui reconnaitre une lucidité, un sens de la stratégie, une vue globale de développement, un courage exceptionnel, et aussi une vision claire de ce qu’il voulait faire, élaboré dans le détail. Tous ces talents manquent à la classe politique d’aujourd’hui.

Charles de Gaulle a donné à la France le sentiment de peser dans le monde. Il a créé la 5ème République avec des institutions stables qui ont tenu pendant 67 ans et qui ont vocation à continuer à se tenir. Il a su donner une vision de développement de la France, et il est responsable pour le « Wirtschaftswunder » à la française, les « 30 glorieuses ».

Parlons aussi du parapluie nucléaire. Charles de Gaulle crée le commissariat à l’énergie atomique (CEA) par décret du 18 octobre 1945. Neuf ans plus tard Pierre Mendès France et Guy Mollet lancent le programme nucléaire français. La France deviendra alors le quatrième pouvoir à développer une arme nucléaire après les USA, l’ URSS et la Grande Bretagne (le nucléaire britannique largement dépendant des USA). Charles de Gaulle, redevenu Président de la République en 1959, confirme le développement du programme nucléaire. Plus encore, il lance la fabrication du Mirage IV, premier bombardier françcais à pouvoir porter les bombes atomiques.

Aujourd’hui la France figure parmi au moins neuf pays qui ont développé le nucléaire comme arme. Pendant la guerre froide, où les USA et l’URSS lancent la course aux arsenaux nucléaires, la France développe sa propre stratégie. D’après la philosophie « small is beautiful » elle propage une stratégie du « faible au fort » avec la possibilité de la « seconde frappe ». Elle fait savoir qu’elle n’entre pas dans la course mais qu’elle possède suffisamment de bombes nucléaires pour pouvoir riposter au cas où. C’est le « principe de suffisance » qui devient base de la politique de défense.

Si au début de la dissuasion française on trouve le souhait de l’indépendance des USA, la philosophie change avec le temps. Le général n’a jamais pardonné à Eisenhower le débarquement en Normandie. D’abord, parce que il n’en avait pas été informé, ensuite parce qu’il avait été planifié sans les français et à la fin parce que lui favorisait un débarquement avec participation des forces françaises en Provence. Il n’a jamais participé à la commémoration du débarquement en Normandie.

Pierre Mendes France lance la force de frappe de la France

En 1954 il s’est avéré nécessaire que la France prenne son indépendance vis à vis des USA. L’assemblée nationale avait refusé de voter le traité que les Allemands avaient accepté. Eux recevaient la pleine souveraineté en contrepartie du renoncement au développement d’armes atomiques, chimiques et biologiques. Des conditions inacceptables pour la France qui se serait dépourvue de dissuasion et se serait vue en état de vassalisation des USA. Mais en même temps la France ne pouvait pas encore donner une garantie pour la sécurité de la RFA. A l’époque la majorité politique n’était pas encore prête à l’accepter.

Le président Jacques Chirac avait ouvert la porte à l’Allemagne de plusieurs manières. Il a avec l’Allemagne refusé de participer à la guerre en Irak. Il avait reconnu dans un discours remarquable que les forces de sécurité françaises ont été responsables du Rafle du Vélodrome d’Hiver. Il avait ouvert la porte pour la coopération militaire franco-allemande entre Lagarde et Mercedes, sous pression de Jean-Luc Lagardère qui en avait parlé avec l’auteur de cet article pour une publication dans la presse allemande.

Le 19 janvier 2006 Jacques Chirac est en visite sur une base de sous-marins et prononce un discours où il répète ce qu’il avait déjà dit en 2001 : On pourrait envisager d’utiliser l’arme nucléaire contre des chefs d’Etat qui auraient recours « à des moyens terroristes «  contre la France. Plus important : il précise les intérêts vitaux de l’Etat. La « force de frappe » pourrait inclure les pays alliés de la France. Pour la première fois la France évoque un parapluie européen pour l’armement nucléaire français. Il n’est pas connu si l’Allemagne a réagi à ces propos.

Le président Jacques Chirac parle pour la première fois de la possibilité d’une
ouverture du parapluie nucléaire de la France.

En 2022 retournement de cette politique. Le président Emmanuel Macron exclut l’utilisation de la force de frappe pour le cas où la Russie utiliserait l’arme nucléaire en Ukraine. En 2025 nouveau changement de la situation : Friedrich Merz et Emmanuel Macron se retrouvent dans leurs idées d’un parapluie européen nucléaire. Pour l’Allemagne il ne s’agit pas du fait de devenir infidèle à l’allié depuis toujours qu’est l’Amérique. Friedrich Merz sent qu’à Washington on prépare un changement de politique. Pour Donald Trump l’Europe n’existe pas. Il traite pays par pays.

En quoi existe l’armement nucléaire de la France ?  

La plus grande quantité de « têtes nucléaires » a été de 500. Le président Nicolas Sarkozy en avait réduit le nombre. On parle aujourd’hui de 280 à 300 têtes nucléaires. Dans la philosophie « du faible au fort », c’est largement suffisant pour riposter en cas d’attaque. Suffisant aussi pour élargir le » parapluie nucléaire » sur l’Europe. La France a mis l’accent sur deux niveaux pour être moins attaquable : la mer et l’air. Ce sont donc les bateaux sous-marins, les avions bombardiers et les avions de type Rafale.

L’idée de Friedrich Merz et du président Emmanuel Macron a mené à des discussions acerbes en France. La droite radicale, le  Rassemblement National (RN), refuse catégoriquement d’étendre la protection de dissuasion française sur l’Europe. « La force de frappe est française et n’est pas européenne. » La gauche se met sur la position que « la France n’est pas attaquée ». En plus, cette discussion chaotique mélange le partage de la protection avec un partage de commandement. La Pologne – elle – souhaite avoir le commandement sur son territoire. L’idée de confier la protection de l’Europe à la France vacille entre le refus en France et le souhait de partager le commandement qui n’a jamais été évoqué par les Allemands.

Friedrich Merz, futur chancellier allemand et président des Chrétiens-Démocrates (CDU)

 Si, dans cette situation géopolitique, la fierté de la France de son armée nucléaire est compréhensible et si l’idée d’un partage européen correspond à un renforcement de l’Europe, la discussion en soi n’est pas à la hauteur.

Il semble même que les idées du président américain Donald Trump de mélanger politiques et affaires font des petits en France. La chaine d’information de télévision LCI a publié sérieusement l’idée de « louer » la protection des 290 têtes nucléaires contre une participation aux frais. L’entretien de la force de frappe coûterait quelques six milliards d’Euros par an. Pour relancer une nécessaire production des bombes nucléaires on devrait investir dix milliards d’Euros. Paris pourrait monétiser sa force de frappe et ses frais, pouvait-on entendre. Depuis 1960 la force de frappe aurait coûté 300 milliards d’Euros à la France. C’est comme cela alors ? On sait que les finances de la France vont mal, mais à ce point ? Ou est-ce qu’on se trompe seulement de niveau de discussion ?

Sources :

Wikipedia : Force de dissuasion nucléaire française

Bertrand Goldschmidt, les Origines du CEA, Espoir No. 103, 1995

Le Figaro 05/03/25

Le Monde 12/03/2025

L’article prochain et fin de la série s’occupera des industries d’armement.

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

En haut