L’Allemagne/France (1): Le coup de tonnerre  

C’était un grand, même un très grand coup de tonnerre. Les chrétiens démocrates et les sociaux-démocrates allemands se sont mis d’accord  sur un plan militaire et un plan économique. En somme l’Allemagne mettra un billion d’Euros (mille milliards) sur dix ans pour

  • Moderniser les infrastructures du pays
  • Moderniser la Bundeswehr et la rendre « kriegstüchtig » (apte à la guerre).
  • Moderniser le système social
  • Les questions climatiques

Le président  français Emmanuel Macron a mis la France en ébullition dans son discours sur les dangers d’une guerre et sur un possible parapluie nucléaire français pour l’Europe. Le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius,  raconte depuis plus d’un an aux allemands qu’il faut se préparer à une attaque russe dans les trois à cinq ans. Les chefs des services secrets intérieurs et extérieurs allemands informent le Bundestag depuis plus d’un an sur les dangers émanant des plans russes. L’opinion allemande se trouve depuis longtemps dans une discussion que le président Macron vient tout juste de commencer en France.

Le Président Emmanuel Macron met la France en garde contre les dangers russes

En France, on n’a pas tellement l’habitude d’observer l’Allemagne. On se compare plutôt à l’Italie, aux pays nordiques ou aux pays de la presqu’île ibérique. Les relations franco-allemandes sont à un point mort. Les deux pays ont pris des chemins différents depuis longtemps. La France est devenue de plus en plus souverainiste, l’Allemagne a cherché le chemin mondial avec un système d’économie libérale. Voyons d’abord les deux systèmes politiques. Le système présidentiel et le système fédéral parlementaire sont très différents. Un gouvernement allemand a vocation de tenir quatre ans, même si le dernier n’a tenu que trois ans ; néanmoins il reste responsable devant le parlement. Un gouvernement français tient en moyenne deux ans. D’après des médias français le président  Macron aurait nommé 70 ministres depuis sa première élection. Le gouvernement français dépend du président. Un vote de confiance au parlement n’est pas nécessaire. Pourtant : le parlement peut censurer le gouvernement. En plus la France connaît un fort dirigisme économique. L’Allemagne tient en général les limites prévues par les traités de Maastricht, la France n’en tient compte que verbalement.

Le ministre allemand de la défense Boris Pistorius met l’Allemagne depuis plus d’un an en garde contre les dangers russes et a le but de rendre la Bundeswehr « apte à la guerre » (kriegstüchtig).

Qu’est-ce qui s’est passé depuis les années 1970 ?

 On a connu la grande époque franco-allemande de Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing avec la préparation de la monnaie unique ; ensuite la grande époque avec Helmut Kohl et François Mitterrand. François Mitterrand avait cru pouvoir tenir l’Allemagne avec la monnaie européenne. Helmut Kohl par contre, le chancelier de l’unité allemande et de « l’Allemagne en Europe », a laissé faire l’économie. Aucun pays n’a su profiter de l’Euro comme l’Allemagne.

Typique pour le développement des deux pays: une seule chancelière, Angela Merkel, a connu quatre présidents français : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron.   Depuis Helmut Kohl la « forteresse » franco-allemande s’est peu à peu affaiblie. Et : tandis que le Bundestag en pleine crise économique de 2007/2008 décide d’ancrer dans la constitution allemande un frein de dette budgétaire, Nicolas Sarkozy échoue à installer le même principe en France. Le couple Scholz/Macron n’en était pas un. Les deux caractères très différents n’ont jamais trouvé un terrain d’entente. 

On doit douter d’une amitié entre des Etats. Il s’agit plutôt de coopération, ou d’intérêt commun. Helmut Schmidt était d’avis que l’Allemagne ne devrait pas prendre un rôle dominant en Europe. Ceci correspondait au personnage de Valéry Giscard-d’Estaing que l’auteur de cet article avait eu l’honneur de  rencontrer : une diva. Lors de la guerre en Ukraine on s’attendait à ce qu’Olaf Scholz prenne un rôle de leader mais il s’avérait comme  l’hésitant. En France on a l’habitude de regarder l’Allemagne d’après Merkel comme un pays malade où rien ne fonctionne : les trains ont du retard, les ponts sont mal entretenus, les autoroutes sont en mauvais état, l’économie en récession.

Friedrich Merz président de l’Union des Chrétiens Démocrates en Allemagne (CDU)

Les agences de notation par contre donnent des avis excellents aux voisins de la France. S&P et Fitch la notent avec « AAA », Moody’s avec « Aaa ». C‘est cela la contradiction. Les finances sont dans un état excellent, mais les réformes structurelles n’ont pas eu lieu. On n’a pas vu en France que les sondages avaient donné les conservateurs comme vainqueurs aux élections. Un nouveau chancelier, Friedrich Merz,  était en vue.

Après son retrait de la politique, débarqué par Angela Merkel, il rejoint un cabinet d’avocats d’affaires de Düsseldorf. Il devient membre du conseil de surveillance de la filiale allemande de la banque HSBC, président du conseil de surveillance du fabricant de papier Wepa, du fabricant suisse de matériel ferroviaire Stadler, de l’aéroport de Cologne/Bonn, ainsi que de la filiale allemande de BlackRock, plus grand fonds d’investissement au monde. Merz a un programme simple : « l’Allemagne 2030 ». Un programme avec des réformes de fond qui ressemble fortement au programme 2010 de l’ancien chancelier Gerhard Schröder et . . . avec des coups de tonnerre.   

La notation de la France :

 Fitch « AA-« , Moody’s « Aa3 », S&P « AA-« 

Merz, dont le parti est en principe inflexible au « frein de déficit », se montre prêt à le réformer, si c’est «  utile ».  Il fait un pas vers les sociaux-démocrates, négocie un nouveau salaire minimum de 15 Euros par heure et une réforme du RSA allemand, accepte un programme d’un billion d’Euro, mais les Verts créent des difficultés.

 Jusqu’ aux derniers jours avant les élections du nouveau Bundestag les conservateurs et les sociaux-démocrates se sont combattus durement. Le soir de l’élection c’était la politesse, l’échange d’arguments, les félicitations pour le vainqueur comme si rien n’avait eu lieu. Deux semaines plus tard, les Allemands annoncent le choc pour les marchés et pour leurs partenaires européens. L’Union CDU/CSU et les sociaux-démocrates tombent d’accord sur un programme qui met les marchés financiers en ébulition : 500 milliards pour des actions climatiques et la modernisation du pays, 500 milliards minimum  pour l’armée. Le tout financé par les marchés sur une période de 10 ans. C’est cela l’Allemagne qui étonne toujours avec ses décisions brutales et conséquentes, prises au moment où c’est nécessaire. Mais c’est cela aussi l’Allemagne qu’on ne connaît pas en France. Et non sans une arrogance certaine, le chancelier sortant Olaf Scholz annonce à Bruxelles que son pays ne se servira pas dans le programme européen de 180 millions pour renforcer des armées des pays membres. 

Vue du Bundestag pendant une réunion plénière. Le 20ème Bundestags reste en service jusqu’à la constitution du nouvellement élu 21ème le 25 mars. Le système allemand ne permet pas le vide d’une constituante de République

Ce n’est pourtant pas si facile de réaliser le programme allemand. Il faudra changer un chapitre de la constitution pour élargir la clause de frein de dettes. Merz ne dispose pas de la majorité nécessaire dans le nouveau Bundestag. Le parlement encore en fonction jusque fin mars s’est donc réuni encore une fois pour une séance de 10 jours.  Les conservateurs, les sociaux-démocrates, et les Verts – la future opposition – ont trouvé la majorité pour ce programme gigantesque.   

La France est durement touchée par les décisions allemandes. Les marchés ont brutalement réagi. A Paris on s’est senti en sécurité. Un déficit budgétaire allemand était presque inconnu. La dette française avait remplacé la dette allemande sur les marchés. Le « spread », la différence des taux d’intérêts entre  le « 10 ans Bund » et le « 10 ans OAT France » était au maximum 0,8 %.  « La signature de la France a toujours de la valeur «, avait assuré l’ex-commissaire Thierry Breton encore quelques jours plutôt dans une interview à la télévision française. Possible, mais du jour au lendemain le rendement pour la dette française a sauté à un taux de 3,6 % pour la signature française. Pourquoi ? L’endettement  allemand s’élève à 62,1 % en 2024. Les recettes allemandes des impôts sans les taxes communales s’élèvent à 860 milliards d’Euros. La France descend au second rang et paye plus. Les intérêts à payer dépassent le budget de la défense. Et l’agence Fitch annonce qu’on ne va pas hésiter à baisser la note de la France si la situation de la dette s’aggravait.

Le coup allemand n’est pas le premier des dix dernières années. Lors de la pandémie de  Covid, le gouvernement de Berlin avait déjà effrayé Paris en injectant des centaines de milliards dans l’économie allemande par des crédits ou des garanties pour des crédits bancaires. A l’époque l’endettement allemand était de 59 % du PIB.  Actuellement il s’élève à 62 %. Le déficit budgétaire allemand pour 2024 est de 2,5 %, le déficit budgétaire français de  6,1 % avec un endettement de 113 % du PIB.

Le Palais Brongniart à Paris, siège de la Bourse. Les marchés ont vivement réagi sur les annonces à Berlin.

   Le budget de défense de la France s’élève à 50 milliards d’Euros. Vu la situation actuelle et la préparation aux exigences du futur, on devrait l’augmenter à au moins 100 milliards d’Euros. Impossible, vu le fait que le pays supporte un déficit de 6,1 % dans son budget de 2025 et que l’augmentation des intérêts de la dette créent de nouvelles difficultés. D’après la cour des comptes, la France doit couvrir un trou de 175 milliards d’Euros dans son budget 2025. Le trésor chiffre la dette nette à traiter à 300 milliards. La France est arrivée à la fin de ses possibilités.

Comment faire alors ?

LE PROCHAINE ARTICLE TRAITE LE PROBLEME DU PARAPLUIE NUCLEAIRE ET LA RAISON HISTORIQUE POUR LES ACHATS D’ARMES  DES ALLEMANDS AUX USA.  

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