La France se prononce contre la ratification d’un traité de libre échange entre L’Union Européenne et le Mercosur. La ministre Sophie Primas a appelé les syndicats, les ONG, les députés européens de la France à lutter contre ce traité : « ce traité est bon pour le commerce, mais pas bon pour l’agriculture ». Elle a répondu sur les questions aussi bien dans l’assemblée nationale qu’au Sénat. Les séances de questions dans les deux chambres ont été largement dominées par le traité de libre échange entre L’Union Européenne et l’Union économique de l’Amérique du Sud « Mercosur » le mercredi 30 octobre.
La France s’isole en Europe sur le commerce international pour protéger son agriculture et court le danger de nuire à son commerce industriel. Le député de Fougères et de Pleine-Fougères, Thierry Benoît qui avait ouvert le bal avec son groupe parlementaire et avec une interview sur la chaine parlementaire LCP/Public Sénat. Il a reproché à la Commission Européenne de vouloir s’affranchir du droit de véto de la France par une ruse en scindant le traité en deux parties. Une reproche qu’il allait répéter plus tard dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale.
Les « questions au gouvernement » ont lieu tous les mercredis à l’Assemblée Nationale et au Sénat. A l’Assemblée Nationale elles ont lieu d’après un cérémoniel: chaque groupe à droit à une question. Avec un temps fixe de trois minutes pour la question et trois minutes pour la réponse plus une réponse sur la réponse où on peut utiliser le temps qui n’a pas été utilisé pour la question. L’exercice dure autour de 45 minutes à l’Assemblée Nationale où règne un bruit infernal à cause des députés qui se crient dessus. Un vice-président de ce parlement a mesuré un bruit arrivant à 82 décibels.
Plus feutrée l’atmosphère au Sénat où les sénateurs s’occupent en général des conséquences des lois dans leurs régions. Ce mercredi 30 octobre, le sénat a salué avec un applaudissement unanime la visite de courtoisie de Madame Anke Rehlinger, ministre plénipotentiaire pour les affaires culturelles entre la France et l’Allemagne et ministre-présidente de la Sarre. Un applaudissement qui se renforçait lorsque le président Gérard Larcher annonçait qu’ à partir du 1er novembre 2024, Madame Rehlinger allait prendre la présidence du Bundesrat – comme en France la chambre haute du parlement -. Madame Rehlinger était accompagné par le sénateur Ronan Le Gleut, sénateur pour les Français établis hors de France. La présidente du Bundesrat avait l’occasion lors de sa visite d’écouter le rejet du traité sans équivoque par la ministre Sophie Primas, qui répétait au Sénat sa position qu’elle avait déjà expliquée à l’Assemblée Nationale.
En forme de question, Thierry Benoît avait expliqué pour son groupe Ensemble la position de rejet. L’accord concernerait la viande bovine, ovine, la volaille, le sucre et le maïs entre autres. Il ne tiendrait pas compte ni du bien être des animaux, ni du social. Il ne contiendrait pas de close de miroir, c’est à dire que les produit agricoles importés par l’Union Européenne doivent avoir été produit d’après les standards européens. Thierry reprochait à la commission de vouloir faire accepter l’accord de Mercosur par une ruse, séparant la partie commerciale du contenu. Il a reproché en plus à l’Union Européenne d’être exigeante sur les normes agricoles à l’intérieur de l’Europe mais de les négliger dans l’accord Mercosur et de négliger les dangers de cet accord pour l’agriculture française. Il a exprimé l’opposition de son groupe politique à cet accord dans la version actuelle et aussi longtemps que les souhaits français ne seront pas remplis. Mercosur et les 26 Etats de ’Union Européenne devraient alors s’aligner sur la position de la France.
Les grands importateurs et exportateurs mondiaux
De quoi s’agit-il ?
La France se comporte comme une île dans un monde qui s’est concentré dans des blocs et où ces blocs se ferment l’un contre l’autre ou conviennent d’une coopération avec des frontières commerciales plus au moins ouvertes. La France se trouve dans le bloc de l’Union Européenne. Ceci veut dire qu’elle doit nécessairement abandonner une partie de sa souveraineté pour trouver un accord entre 26 partenaires comme les autres membres de l’Union Européenne le font. Par contre, on entend de plus en plus souvent l’utilisation de la notion « souveraineté nationale », pour l’énergie, pour l’alimentation, ou pour l’immigration et naturellement pour l’agriculture, comme le député Thierry Benoît l’énonce pour son groupe. Avec cette exigence la France se recroqueville de plus en plus sur elle et refuse une intégration européenne et internationale.
On doit faire la différence entre une affaire de politique intérieure de l’Union Européenne où chacun des membres a déjà bloqué une décision commune, et un blocage d’un traité international pour des intérêts particuliers nationaux, avec des conséquences pour le commerce international des tous les pays européens. La demande française de bloquer le traité de libre échange pour les intérêts agricoles françaises bloque le commerce des tous les pays européens avec des Etats de l’Amérique du Sud. C’est du protectionnisme pour une agriculture qui est largement financée par les fonds européens et qui est en perte de vitesse par manque de réformes structurelles. L’appel dramatique d’une ministre à la politique, aux syndicats, aux ONG, aux députés européens à lutter contre ce traité sonne comme si l’agriculture française se trouvait devant un danger mortel, si l’Europe allait ratifier ce traité.
Jetons d’abord un coup d’œil sur l’agriculture française sur la base des années 2021-2023. Elle se trouve dans une lente érosion. Le sénat constate une augmentation des produits importés dans de nombreux secteurs. La France importe près de 63 milliards d’euros de denrées alimentaires, soit 2,2 fois plus qu’en 2000 (année de Covid, donc peu comparable) . La plupart des secteurs sont touchés :
- un poulet sur deux consommé en France est importé ;
- 56% de la viande ovine consommée en France est d’origine importée ;
- 28% de la consommation de légumes et 71% de la consommation de fruits sont importés.
En même temps l’agriculture française se trouve devant des changements de structures, qui sont comparables à une révolution technologique. Le constat de France Travail dans une étude est impitoyable:
- On parle aussi d’ « agriculture de précision », dont l’objectif est à la fois d’optimiser la précision et la préservation des productions, en collectant tout un panel de données – conditions météorologiques, qualité des sols, etc. – au moyen de drones et technologies poussées comme le Big Data ou l’intelligence artificielle (IA).
- Ces innovations, et bien d’autres, sont portées par la « French Agritech », un écosystème dédié, rassemblant des acteurs du monde agricole et plus de 200 startups de la Tech, tous mobilisés pour imaginer des solutions hautement performantes, capables de servir l’agriculture de demain. À cet écosystème s’ajoutent les « Digifermes », un réseau de fermes expérimentales tournées vers l’utilisation des outils numériques.
- De telles évolutions influent inévitablement sur les besoins en compétences, autre enjeu de la filière. Pour y répondre, le plan « Compétences et métiers d’avenir »6 prévoit un volet consacré à soutenir et accroître les parcours d’apprentissage dans le secteur agricole. 180 projets de formation sont d’ores et déjà intégrés au dispositif, dont huit relatifs aux problématiques d’alimentation saine et durable.
- Ces nouveaux besoins en compétences s’accompagnent d’une augmentation des besoins en recrutement : 14 % sur les plus de 245 000 postes ouverts en 2023, n’ont pas été pourvus. Ainsi, bien que l’agriculture soit le deuxième employeur de France, elle n’en est pas moins confrontée à des pénuries de main-d’œuvre. Dans le même temps, elle doit faire face à un renouvellement des générations, puisque 116 000 agriculteurs auront atteint l’âge de la retraite d’ici à 2030.
- Il y a donc là une réelle nécessité pour la filière de renforcer son attractivité et la valorisation de ses métiers auprès des étudiants, des jeunes, des demandeurs d’emploi… et de la gente féminine. En effet, si un quart des exploitants et 30 % des salariés agricoles sont des femmes, la féminisation du secteur reste une préoccupation clé. D’où le travail de sensibilisation et de promotion que mènent les acteurs de l’enseignement et les prescripteurs de l’emploi auprès des femmes et des jeunes filles. Une dynamique à laquelle se joignent de nombreuses associations féminines, telles que « Agros au Féminin », « Terre de femmes », « Les Elles de la Terre », ou encore le réseau « Femmes Rurales ».
On peut alors en conclure que l’agriculture française a négligé pendant longtemps une modernisation qui s’est faite dans les pays voisins.
On peut en conclure que l’agriculture française est restée sur une structure familiale qui – par la petite surface des fermes – n’est plus adaptée à l’agriculture ciblée sur les produits, à la politique agricole européenne, et où le droit traditionnel d’héritage avec la parcellisation des fermes, refuse toujours une agriculture industrialisée. L’agriculture française est en plus handicapée par les normes que la France superspose aux normes européennes. En plus l’agriculture française doit subir que le commerce mondial fixe les prix pour les produits par le principe de l’offre et de la demande.
Ceci mène au fait que l’agriculture française est protégée doublement. Les subventions européennes fixent un « status quo » et l’Etat français la protège avec des lois comme la loi « Egalime ». La question du député Thierry Benoit pour son groupe Ensemble démontre cette situation. Et la façon théatrale de la ministre de répondre à cette question est inopportun.
On a affaire à des blocs comme l’Europe, comme le Mercosur ou de grands Etats comme le Canada. Ce que la France pratique politiquement dans la discussion autour du traité de libre échange avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et de la Bolivie, qui se sont réunis dans le « marché commun du sud » (Mercosur), elle l’a déjà pratiqué avec le traité de libre échange avec le Canada : refus total avec des arguments de peur : importations en masse qui ne correspondent pas aux exigences françaises, manque de miroirs, donc manque de production avec exigences qualitatives françaises. La France prend une position de défense et essaye le blocage.
Seulement est-ce qu’on doit vraiment demander à toute la communauté européenne de s’aligner sur la poisition française de l’agriculture qui est en position de faiblesse?
La géopolitique du 21ème siècle ne permet plus à des pays de s’isoler. Contrairement à ce qu’ on semble croire à Paris, la France n’est pas assez forte pour vivre seule et de rêver à une souveraineté nationale. Les contrats sur l’hydrogène avec le Maroc récemment conclu le prouvent.
Le blocage de la France pour le traité avec le Canada n’a pas eu de succès. 17 pays de L’Union Européenne parmi les 26 Etat européens l’ont ratifié entre temps : L’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, Malte, les Pays Bas, le Portugal, la République Tchèque, la Slovaquie, la Suède et la Roumanie. La France fait partie des pays qui n’ont pas ratifié. Le Sénat a rejeté la loi de ratification le 21 avril 2024. Le Parlement européen s’est prononcé en faveur de l’accord avec le Canada. Le Canada avait déjà ratifié l’accord en 2017. Même si cet accord n’a pas été ratifié par tous les pays de l’Union Européenne, il entre en vigueur.
En 2022 le Canada se trouve au 27ème rang des clients de la France. Les importations atteignent une valeur de quatre milliards d’Euros, principalement du matériel d’extraction et du transport. Les importations des produits agricoles chutent de 2 %. Ils s’élèvent à 1 % du total des importations venant du Canada d’après des indications de la direction général du Trésor.
La France risque de s’isoler aussi dans la ratification de l’accord avec le Mercosur. 11 pays de l’Union, parmi eux l’Allemagne et l’Italie, ont demandé à la présidente de la commission de mettre tout en œuvre pour qu’on puisse ratifier ce traité. Le Brésil se trouve sur la 37ème position dans le commerce avec la France.
D’après la direction générale du Trésor, le Brésil est un partenaire de premier ordre pour la France qui y est le quatrième investisseur. Le Brésil est la deuxième destination française dans le monde émergent, derrière la Chine avec Hong Kong. Au total, plus de 1.100 filiales d’entreprises françaises dont 39 des 40 entreprises du CAC 40 (index de la Bourse de Paris), y emploient près de 520.000 personnes.
La situation en Argentine est comparable à celle de Brésil. La présence française en Argentine est importante. 160 groupes français (dont la plupart des membres du CAC 40) y sont implantés, employant près de 68 000 employés. Les entreprises françaises sont particulièrement présentes dans les secteurs de la grande distribution (Carrefour, leader sur le marché argentin), de l’automobile (Renault, Stellantis), des céréales et oléagineux (Louis Dreyfus), de l’agroalimentaire (Danone), des hydrocarbures (Total énergies), des mines et des énergies renouvelables (Eramet). Les entreprises françaises sont présentes dans les cosmétiques (L’Oréal), la pharmacie (Sanofi-Pasteur, Servier), les télécommunications (Orange), le numérique (Atos) et les transports (Alstom).
Sous ces points de vues il est difficile de comprendre un argument arrogant qu’on peut entendre en France: « les Allemands sont favorable au traité avec le Mercosur parce qu’ils veulent vendre leur voitures ». Stellantis en Argentine est une entreprise de construction d’automobile italo-franco-américaine. Et Renault? Le contraire est le cas si on regarde bien les statistiques: les intérêts allemands dans le commerce agro-international sont plus grand que ceux de la France. Mondialement l’Allemagne importe autour de 60 % de plus de produits agro-alimentaire et exporte autour de 15 % de plus de produits agro-alimentaire que la France. L’Allemagne a doublé la France d’après les statistiques agricoles et favorise néanmoins le libre échange entre l’Europe et l’Amérique du Sud ainsi qu’avec le Canada. On voit la différence dans la philosophie géopolitique et économique qui crée de plus en plus une fossé entre les deux pays.
Quand on regarde la présence technologique et industrielle de la France dans les deux pays les plus importants du Mercosur on doit se demander si elle ne fait pas fausse route avec une argumentation qui se concentre uniquement sur l’agriculture.
Cependant : le danger existe de nouveau que la France se trouve seule . Vu que onze pays soutiennent le traité, on peut compter sur un vote positif au parlement européen.
Mais ce qui est vraiment étonnant, c’est que la France met en cause ses intérêts industriels et technologiques au Brésil et en Argentine pour protéger son agriculture qui actuellement ne joue presque aucun rôle dans le commerce avec le Mercosur.
L’agriculture française en chiffre
- 759 000 collaborateurs embauchés en emploi permanent ;
• 496 000 exploitants ou co-exploitants agricoles répartis au sein de 390 000 exploitations ;
• 145 000 exploitations dédiées à l’élevage et 12 % des exploitations certifiées « agriculture biologique » ;
• Une filière fruits et légumes qui se hisse au rang de 4e producteur européen ; • 800 000 hectares de cultures observés par satellite et 8 000 robots de traite opérationnels.
Sources
France Travail / France diplomatie / Rapport du sénat sur agriculture 2021 / Questions au gouvernement 30 /10/ 2024 / Télévision chaîne LCP/Public Sénat / Télévision chaînes BFMTV/CNEWS/LCI / Bundesinformationszentrum Landwirtschaft / WTO / Statistique Canada, 2023 / Douanes Françaises 2023 / Ambassade de France au Canada / Wikipedia
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