Pour donner la réponse tout de suite : » Non, l’Etat ne peut pas tout faire. » C’était un premier ministre, Lionel Jospin, qui était clair sur cette question cruciale pour la France. Lionel Jospin, le socialiste, a en même temps privatisé l’industrie française comme aucun de ses prédécesseurs et aucun de ses successeurs. Il a presque totalement renversé le programme de nationalisation du président Mitterrand. Et il a fait comprendre : « l’État ne doit pas tout faire ».
On ne peut pas reprocher à Lionel Jospin d’avoir été un libéral, ce qui est toujours considéré comme une insulte en France. La France est tout, sauf libérale dans son économie. Bercy est toujours considéré comme la direction de l’économie française. Dès qu’il y a le moindre problème, on s’adresse au gouvernement pour le résoudre. Pire : il ne faut pas croire qu’on puisse acheter ou vendre une usine, ou penser à une fusion avec la plus petite entreprise, sans que le château de Bercy s’en mêle. Il ne faut pas croire non plus que la France soit un pays ou l’esprit économique règne. On vit régulièrement le contraire. En France, on croit fortement en John Maynard Keynes en prônant l’intervention de l’Etat. La France est entourée d’Etats qui croient plutôt au philosophe économique Schumpeter. Lui prône sa théorie de la balance de l’économie qui fait naître de nouveaux équilibres après des déséquilibres qui s’étaient formés avant.

Le maire de Florange où ArcelorMittal va licencier 180 employés ne décolère pas quand il voit les réactions des syndicats et des hommes politiques. Il a une liste avec des entreprises qui veulent venir, ouvrir des usines et embaucher. Il reproche toujours aux syndicats et à l’Etat d’avoir forcé ArcelorMittal à alimenter des hauts-fourneaux dont personne ne voulait plus. « Nous aurions pu y installer de nouvelles entreprises », raconte-t-il dans une interview télévisée. A l’époque, Lakshmi Mittal avait expliqué au président Hollande que la nationalisation des hauts fourneaux ne servirait à rien parce qu’aucune entreprise en Europe n’achèterait l’acier ainsi produit. Pour calmer les syndicats, l’entreprise avait gardé les hauts-fourneaux en sommeil de 2012 jusqu’en 2018 en brûlant des millions de kw/h de gaz pour les chauffer. Un compromis politique signifiant un non-sens économique et un gaspillage gigantesque de ressources. En 2018 ArcelorMittal avait décidé la déstruction des deux hauts-fournaux restants et commencé à nettoyer autour des hauts-fournaux. 18.000 tonnes de ferrailles furent transporter à Dunkerque pour un recyclage. La démolition et le nettyage du terrain ont lieu depuis 2023. Et ensuite? Le maire de Florange souhaite l’implantation des entreprises. Le maire d’Hayange pense à des logements et des commerces. La nouvelle vie semble assurée, d’ une façon ou de l’autre.

Revenons aux quelques 600 emplois à perdre. Les socialistes veulent les garder. Ils font croire que la sidérurgie française est en danger. La conséquence: il faudrait nationaliser ArcelorMittal. Le radical de gauche François Ruffin est de même avis, et même la droite radical avec Jean-Philippe Tanguy n’est tout à fait contre le fait d’acheter une participation de 10 pour cent dans l’entreprise.
Souvenons-nous des batailles sanglantes à Longwy en Lorraine lorsque la sidérurgie nationalisée a fermé son usine sidérurgique intégrée.
Souvenons-nous de la vente d’une sidérurgie nationalisée française en faillite à l’entreprise luxembourgeoise Arbed.
Souvenons-nous du gouvernement espagnole qui en privatisant sa sidérurgie l’avait confié aux Luxembourgeois.
Souvenons-nous d’une équipe dirigeante luxembourgeoise/française qui avait fait d’Arcelor – ainsi créée – un groupe mondial florissant.
Et souvenons-nous d’une bataille épique entre la famille Mittal et Arcelor qui avait créée l’entreprise ArcelorMittal, aujourd’hui numéro deux mondial de la sidérurgie.
L’existence de la sidérurgie française est assurée en faisant partie de ce géant mondial. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de développements à l’intérieure du groupe.

Quels sont les emplois à supprimer en Lorraine ? Il s’agit du support technique et du support électronique pour 183 sidérurgistes en Lorraine et 200 à Dunkerque. Ce sont donc des emplois dont on n’a plus besoin sur les lieux du processus de production. Le progrès de la technique permet de livrer ces supports à distance. Si on applique les idées de Schumpeter on doit trouver des emplois dans les nouvelles entreprises à venir dans les environs de Florange / Hayange. Si on applique Schumpeter on doit pouvoir trouver de nouvelles entreprises, de nouvelles technologies dans le giron de la sidérurgie défaillante. Il faut en plus ajouter une pensée sociale parce que c’est là que l’Etat doit intervenir comme complément. L’agence du travail (pôle emploie) doit prendre les sidérurgistes en charge, leur trouver un nouvel emploi, les former et les préparer au nouveau monde du travail. Là où on négocie un plan social, les syndicats seraient les partenaires à représenter les intérêts des employés.
Il y a d’autres exemples pour la création d’un nouvel équilibre. Lorsqu’ à Amiens Whirlpool délocalise en Pologne, on crée au carrefour d’autoroutes d’Amiens une nouvelle ville de service et d’industrie avec des milliers de nouveaux emplois. Tous les touristes pour la Normandie, le Mont Saint-Michel et la Bretagne de l’Ouest venant de la Belgique, de l’Allemagne ou de l’Est de la France traversent cette zone et longent un dépôt gigantesque d’Amazon qui y a créé quelques 500 emplois. Schumpeter parle de déséquilibre et d’équilibre. Mais de nos jours on doit ajouter la qualification qui n’est pas toujours la même dans ces nouveaux emplois.

A Mondeville près de Caen l’usine intégrée de sidérurgie a été démontée et vendue en Chine. Lorsque Amazon voulait créer un dépôt dans le giron de Caen la maire de la commune visée s’y est opposée. Le dépôt s’est fait dans une autre commune, les emplois y sont allés, la commune encaisse la taxe foncière bâtie, les employés payent des impôts et des taxes sociales, possiblement aussi des taxes communales.
Ce système de mettre de l’ordre dans le désordre économique ne fonctionne que difficilement en France. Le rôle de l’entreprise dans la société civile et dans l’économie n’est que partiellement accepté. Le souhait de nationaliser est un exemple comme cette phrase : « on a quand même subventionné l’entreprise ». C’est vrai et c’est faux. L’industrie sidérurgique se trouve devant des challenges gigantesques. La subvention « crédit impôts recherche » est investie dans la recherche pour un acier plus léger et plus résistant, mais aussi un acier plus propre. On peut rendre les voitures plus légères et plus résistantes en cas d’accident. Sans ces subventions on mettrait 15.000 emplois en danger.
Aux USA on voit un énorme chantier en Alabama ou l’entreprise produira dans l’avenir de l’acier plat dans un four à arc électrique. Ceci est un grand succès de la recherche.
En Allemagne, à Duisburg et à Hambourg ArcelorMittal et ThyssenKrupp sont en train de substituer le charbon et le gaz par de l’hydrogène. Les deux entreprises dépensent des milliards d’Euros, subventionnée par les gouvernements régionaux à Düsseldorf et à Hambourg. Les hommes et femmes politiques qui demandent le remboursement des subventions en France ne savent visiblement pas de quoi ils parlent. Et si Jean-Philippe Tanguy deplore qu’il n’y ait plus de cinq haut-fournaux en France, il déplore la disparition de Dinosaures industriels qui ont déjà vécu. La sidérurgie de demain se jouera rarement par des hauts-fournaux.

ArcelorMittal n’est pas français. ArcelorMittal est une entreprise luxembourgeoise avec vocation mondiale. L’entreprise est le deuxième plus grand producteur mondial d’acier avec 57,9 millions de tonnes produits en 2024. L’entreprise emploie 125.416 personnes dans plus de 60 pays du monde et produit de l’acier dans 15 pays. Elle emploie 15.400 personnes en France et y produit 11 millions de tonnes d’acier. Si on met la perte de 600 employés en relation avec ces chiffres, on voit que la réaction en France est largement exagérée. D’autant plus qu’on peut être sûr qu’il y aura des plans sociaux, des préretraites et le travail personnalisé de pôle emploi. Vouloir nationaliser une entreprise à 852 millions actions d’actions, comme François Ruffin et les socialistent le demandent, relève de la pure phantaisie et de la polémique.
L’entreprise réagit sur les changements géopolitiques. Si elle gagne 30 Euro par tonne d’acier produite en Lorraine et 300 par tonne produite en Inde, la décision semble claire. Il y a des années déjà, Aditya Mittal, actuel PDG du groupe avait averti dans un discours à Paris qu’il viendrait le moment ou on ne pourrait plus produire de l’acier en Europe, vu les contraintes existantes qui désavantagent les producteurs en Europe par rapport à la Chine.

Actuellement ArcelorMittal bâtit à Calvert (Alabama) une aciérie électrique qui sera la plus moderne au monde. Elle se trouve à côté d’un gigantesque laminage de brames d’acier, qui lui aussi appartient aux plus modernes aux monde. Sur un investissement de 1,2 milliards de Dollars l’Etat d’Alabama lui accorde un crédit fiscal de 280 millions de Dollars. Cet îlot de production est destiné à Mercedes, Volkswagen, Toyota, Honda, BMW etc. qui toutes produisent des voitures dans le sud des Etats Unis. La perte de 600 employés en France profite entre autres à une production en Inde qui sera d’une certaine façon la Chine de demain.
En France Arcelor Mittal investi dans le Nord. Le groupe bâtit une nouvelle production d’acier électrique à Mardyck (Nord). L’acier plat électrique est considéré comme l’avenir de la sidérurgie puisque les procédés sont considérés comme »propres ». A Gand elle transforme des déchets de bois en « bio charbon » qu’il utilise pour la production d’acier.
Dans la région de Dunkerque il existe des plans pour établir une multitude d’entreprises qui créeraient plus de 1.000 nouveaux emplois d’ici 10 ans. Si on regarde la situation chez ArcelorMittal et dans les régions où l’entreprise est implantée de plus près, on doit se demander d’où vient l’excitation autour des 600 postes à fermer en France.

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