Le mois de novembre est un mois plutôt calme, un mois de deuil, un mois de commémoration mais aussi un mois de la bonne volonté et du partage. Le hasard des jours de commémoration des morts pour la France et la culture religieuse font que le 11 novembre reçoit une double signification.
Dans le magnifique chœur de l’église de Servon on vit tous les ans cette contradiction inhérente à la date du 11 novembre. Des deux côtés de l’autel se sont alignés les drapeaux des anciens combattants. Devant l’autel deux rangées de pains à bénir. Pas facile pour le curé Romain Farque de faire une synthèse entre le grand écart de la guerre et la bonté de St. Martin, évêque de Tours, dont on raconte qu’il ait partagé son manteau avec un pauvre. Dans les régions très catholiques allemandes de la Rhénanie et de la Westphalie, mais aussi en Autriche et en Suisse la fête de la Saint Martin est une grande fête avec des processions, des lampions et « Saint-Martin » sur un cheval. En symbole les boulangers font des « Stutenkerl » nommé aussi « Weckmann » ou de grands Brezel. Dans la paroisse de Pontorson ce sont des « pains bénis ». Cette année c’est le boulanger Régnaut de Ducey qui avait préparé 500 gâches à bénir.
La Messe de Saint Martin relie les deux événements par un chœur d’enfants qui ont interprêté des chansons qu’on entend rarement dans une église comme le « Hallelujah » de Leonard Cohen ou un chant à la mêlodie de « amazing grace ». Les filles de Servon et des villages environnants avaient passé les vacances de la Toussaint pour apprendre et répéter leurs chants.
Le monument aux morts à Servon se trouve derrière l’église. La procession est courte, tout le monde se retrouve en cercle autour du monument. Le maire lit les noms des gens du village morts pendant les guerres. Et vient le moment de grande émotion : les enfants chantent le chant des partisans. Moment où on comprend ce que le 11 novembre signifie pour l’identification de la France, 106 ans après l’armistice.
Deux jours plus tard Romain Farque se trouve dans son église peu peuplée devant les participants à la commémoration aux morts à Pontorson. Dans son sermon il se demande si dans notre ère d’individualisme on serait prêt à offrir sa vie pour sauver et protéger les gens comme les soldats qui se sont sacrifiés pendant la Grande Guerre. « Le 11 novembre est un puissant symbole de mémoire » dit-il en sortant du contexte habituel des sermons pendant la messe catholique. C’est le moment de se souvenir de l’enthousiasme des soldats qui sont partis en guerre en 1914 tout en croyant qu’au bout de quelques semaines ils seraient de retour. En vérité elle se termina quatre ans plus tard et avait coûté la vie de plus d’un million de soldats français, allemands, anglais, américains. . .
Ce jour de mémoire, le maire de Pontorson lit en groupe de cinq les noms des soldats morts. Il ne s’agit plus seulement des morts de la Grande Guerre, mais aussi des morts de la Deuxième Guerre Mondiale, de l’Indochine, de l’Algérie et d’autres opérations sous le drapeau de L’ONU. . . Le 11 novembre est devenu le jour de commémoration de tous les morts dans les guerres depuis la fin de la Gande Guerre..
Ce sont les noms de 134 Pontorsonnais – 112 dans la guerre 1914-1918, neuf pour la guerre 1939-1945, un pour la guerre d’Algérie, deux pour la guerre d’Indichine, un en déportation et neuf victimes civiles – un lourd tribut.
Il existe quand même un problème avec ce jour de mémoire comme avec le 8 mai pour la fin de la Deuxième guerre mondiale. La mémoire se limite à une petite classe. Il y a les séniors, il y a les élus, mais il manque cette classe entre 30 et 50 ans qui est porteur intermédiaire pour transmettre l’histoire aux enfants et aux petits enfants. Les deux jours de mémoire sont devenus des jours de vacances, des jours de travail dans les régions touristiques. Les deux jours sont devenus des jours de mémoire officielle, qui ne touchent plus – comme le curé l’a dit dans son sermon pendant la messe de mémoire – la société individualisée. Quand on regarde la circulation des touristes sur la route nationale pas trop loin, on constate : le curé n’a pas tort.
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