Né en 1947, Michel Sardou, aujourd’hui 77 ans, réalise sa dernière tournée. 60 concerts au bout de six mois, interrompus d’une angine : rares sont les artistes qui osent un tel marathon. Rares sont aussi les artistes qui ont provoquer une polarisation dans la société comme lui et qui se sont – en même temps – fait aimer tellement par le public. Il faut avoir vécu le moment – comme à Caen – où la lumière s’éteint, l’artiste sort de la scène, les 6.500 spectateurs dans le Zénith continuent à applaudir et où il revient pour une dernière chanson. Ensuite c’est fini, Michel Sardou sort de la scène. Le public hésite un moment, mail il ne revient pas. Il a dit adieu à ses fans en Normandie.
Qu’est-ce qu’on fait dans sa tournée d’adieu, quand on a 400 chansons dans son répertoire, qu’on a publié 28 albums studios, 18 albums live, quand on a vendu plus de 100 millions exemplaires de ses chansons et que les spectateurs ont tendance à chanter avec l’artiste parce qu’ils connaissent si bien ses chansons ? L’année dernière, juste avant le début de sa tournée, Michel Sardou avait annoncé qu’on aurait des surprises parce que « ce serait quand même ennuyant de chanter les chansons comme on les connaît ». Le show commence alors avec un petit concert de piano où on entend un potpourri de différentes mélodies bien connues. Une idée que Sardou reprend dans son show plus tard en interprétant quelques une de ses chansons connues.
Le concert : Une violoniste et un musicien avec une cornemuse apparaissent. Un cheval blanc galope dans un parc avec un troupeau, ensuite seul en direction de la salle, lentement commencent les premiers accords du « connemara ». Sous la lumière de trois projecteurs Sardou chante embarqué dans un giganteste paysage en 3 D. C’est le début d’un concert qui fascine dès le début. Sardou, vêtu en noir, contraste avec ses cheveux blancs, a gardé son habitude de se promener sur la scène et de raconter de petites histoires, mais ses pas sont devenus lents. Il fait des pauses, boit une goutte d’eau de temps à autre. C’est le grand-père qui raconte en chanson sa vie à ses petits enfants. Il sait que la salle est à lui, il est chez lui.
Michel Sardou a vécu plusieurs étapes dans sa vie artistique. La première est celle d’un homme qui est furieux et indigné, celle d’un homme qui réagi sur un événement ou à une situation par une chanson. Les chants les plus marquants sortent de cette période. « Les ricains » par exemple, chanson qui le fait connaître en 1970. C’est la chanson sur la période où les Américains d’un côté sont les mal aimés du monde entier à cause de la guerre au Vietnam et où le général de Gaulle retire la France du commandement de l’Otan. La conséquence : L’Otan s’installe à Bruxelles. De Gaulle n’aime pas cette chanson, le fait savoir et dans une station de radio arrive même un gendarme pour reprendre le 45 tours.
Avec sa chanson sur le paquebot France il réagit sur le fait que Giscard d’Estaing, alors ministre des finances, retire les subventions et le fait accoster à quai au Havre. Avec « Le France « il introduit une nouveauté, le « je », avec cette formule « ne m’appelez plus jamais France, la France elle m’a trahi «. Le texte dans « Verdun » correspond à cette phase. Mais ces textes lui donnent aussi une étiquette, « de droite ». Sardou change de ton et devient définitivement le « plus grand chanteur populaire vivant de la chanson française» comme on le connaît aujourd’hui. Ce sont “le Connemara”, « le Java de Broadway”, “le chanteur de Jazz» ou « La Maladie d’amour” qui seront éternellement liés à lui. “Vladimir Ilitch” par exemple ou “Verdun” apparaissent ausi dans cette phase. Michel Sardou reste un chanteur engagé dans les faits de politique et de société. C’est peut-être cela qui lui donne sa position extraordinaire dans la chanson française.
Dans ce concert en Normandie le public chante et applaudit de façon rythmique. Mais Sardou ne serait pas Sardou s’il n’y avait pas des douches froides. Lorsqu’il chante « Verdun », il y a ce soldat de la Grande Guerre qui assaille le public jusqu’au moment où le son d’un fusil éclate et le soldat s’écroule. L’image en 3 D crée un choc dans la salle. Sardou utilise cette forme de présentation qui secoue le spectateur. Lui chante dans le noir, l’image qui attaque le public, parle brutalement. Même chose avec le mythique « Vladimir Ilyitch ». Une gigantesque statue de Lenine apparait sur scène. Et pendant qu’il chante elle commence à se desintégrer. A la fin il n’y a que des particules de poussières qui dansent dans l’air.
Il faut voir le lieu où le concert à lieu. Caen a été une ville de combats acharnés après le débarquement des forces alliées le 6 juin 1944. En 2024 toute la Normandie se souvient de ce débarquement il y a 80 ans. La chanson sur « les ricains » y a sa place. Et devant les portes de l’Europe il y a des soldats ukrainiens qui perdent leur vie en défendant leur pays contre les Russes. En France, seul l’artiste Sardou est capable de faire allusion à ces événements. Il possède le répertoire pour se présenter avec ses chants ce soir à cet endroit.
Le concert a lieu le soir de la journée internationale de la femme. Sardou utilise la journée pour présenter la chanson la plus provoquante sur les femmes, « Je vais t’aimer », mais aussi sur les femmes des années 80, qu’il a actualiséen 2010 en vantant leur succès dans la société. Il s’est presque toujours attiré les foudres des différents mouvements de femmes pour ses chansons sur les femmes.
Il y a encore le Sardou avec des chansons paisibles, tendres, même mélancoliques comme « je pars » ou « les vieux », ou “Petit” et même « le Midi », chant qu’il a pris du répertoire de son père et qui a toujours les mêmes effets dans le public.
Lorsque vers la fin du concert les jeunes dans la salle courent vers le podium, c’est le cheval blanc qui réapparait, baissant sa tête pour dire merci. Dans le noir on voit la silhouette de l’artiste quitter la scène. Michel Sardou a fait ses adieux à la Normandie avec toutes les facettes qu’on lui connaît. Le public – ému – reste encore un instant en applaudissant, avant de quitter le Zénith.
Le cheval blanc s’incline devant les spectateurs pour dire merci.