UN HOMME – UN DEBARQUEMENT – UN DECRYPTAGE

Lorsque le 6 juin au matin 150.000 soldats traversèrent la Manche avec un temps maussade, c’était sous de mauvaises auspices. On avait mal calculé le courant de l’eau, les soldats arrivèrent partiellement sur des plages qui n’étaient pas prévues. Des chars furent envoyés dans l’eau trop tôt. Chacun des soldats qui sortent des péniches de débarquement sait que ce seront peut-être les derniers moments de sa vie. La majorité parmi eux avait tout juste 20 ans.

Le général commandant des forces alliées Dwight D (Ike) Eisenhower avait longtemps hésité à donner le feu vert pour cette action qui s’avéra être la plus grande jamais vue dans l’histoire militaire. Initialement, un débarquement en Normandie avait été planifié pour le 1er mai 1944 sur trois plages.  Eisenhower  changea les plans, trouvant qu’un débarquement sur trois plages n’aurait pas la puissance nécessaire pour résister à la défense allemande.

Dwight D. (Ike) Eisenhower commandant des forces alliées pendant le débarquement en Normandie.

Il savait qu’il allait envoyer des milliers de jeunes garçons à la mort. Eisenhower savait aussi qu’il n’avait pas d’autres possibilités que ce matin là. C’était le jour où le temps était le moins mauvais. Prévu pour le 5, retardé au 6, il aurait dû attendre dix jours pour lancer le débarquement avec un temps moins maussade. Impossible pour trois raisons. Il aurait fallu continuer l’opération avec les leurres de la 3ème  armée pour faire croire aux Allemands que le débarquement aurait lieu à Calais. Impossible aussi de cacher aux espions allemands un gigantesque amassement de troupes. La troisième raison s’appelait Charles de Gaulle. Après une longue hésitation Eisenhower donna finalement l’ordre sur une plage de Portsmouth en prononçant les mots historiques : « o.k., let’s go ! »

La préparation avait duré longtemps. Il y avait d’abord le premier ministre britannique, Churchill, qui ne voulait rien entendre d’un débarquement. Staline le pressait. Son argumentation : Un débarquement dans l’ouest irait amoindrir la pression des Allemands sur le front de l’est. Et Dwight D. (Ike) Eisenhower, le général commandant des troupes des Alliés, exerca une pression sur le Britannique. En 1943 Churchill capitula et consentit à un débarquement en Normandie. L’opération « Overlord » pouvait commencer.

Mais : Churchill et Eisenhower avaient planifié cette opération comme une stratégie britannique/américaine en incluant des Canadiens, des Australiens et d’autres troupes des 50 pays d’une coalition contre Hitler. C’est là qu’un général français entre en jeu. Pour Charles de Gaulle il s’agit de la libération de son pays. Pour les Américains et Churchill cet homme n’inspire pas tellement confiance. Il prétend représenter la France alors qu’il y a un gouvernement à Vichy !

La tombe du géneral Patton. Il est enterré dans le cimetière militaire à Luxembourg-Hamm, à la tête des soldats morts de sa 3ème armée. Une exception et une faveur puisqu’il aurait du être enterré à Arlington au cimetière des héros américains.

 De Gaulle et Eisenhower mettent du temps pour s’entendre. Mais tout ceci est de nouveau perturbé lorsque le Français et la coalition ne s’entendent pas sur le lieu du débarquement. De Gaulle souhaite la Provence comme lieu de débarquement. La raison : il aurait pu faire participer la division Leclerc. Eisenhower avait strictement refusé de transférer Leclerc et ses soldats en Angleterre pour qu’ils participent à un débarquement en Normandie. La participation « de la France » au débarquement se limite au symbolisme : une unité de 40 hommes des commandos Kieffer parmi 150.000 soldats en tout ! Il y avait maintes raisons pour que de Gaulle se sente mal traité, même humilié, par les Alliés à Londres. General Georges W. Smith Patton, commandant  de la 3ème armée est claire sur le but. Dans un discours de motivation devant ses hommes au printemps 1944 il déclare ; « Nous voulons les (les Allemands) expédier en enfer. Nous voulons y aller et mettre de l’ordre dans cette saleté. Nous gagnerons cette guerre en nous battant et en montrant aux Allemands que nous avons plus de c. . .qu’eux. Dans vingt ans lorsqu’assis sur vos genoux. . .votre petit fils vous demandera ce que vous avez fait pendant la Seconde Guerre mondiale, vous . . .pourrez lui dire : fils, ton grand père a chevauché avec la célèbre 3ème armée et un salopard de fils de p. . .nommé George Patton. »  Ce discours n’a rien à faire avec la libération de la France. Le but est : vaincre les Allemands partout où on les trouve.

 Lorsque le 6 juin 2024 le président américain Biden parle à la pointe du Hoc où 220 US Rangers avaient perdu la vie, il parle du combat pour la liberté, pour la démocratie, du combat contre les dictatures, évoque le président russe, Poutine nommément. 80 ans plus tard le discours américain, qui est un vrai avertissement, n’a pas changé. 

Monument de Sir Winston churchill à Londres

François Coulet, est nommé commissaire régional de la République pour la Normandie. Il nomme en plus un gouverneur militaire pour la Normandie. Dans un discours (!) il désigne les grandes lignes d’une France de l’avenir. Et juste avant de partir il informe le général Montgomery de ses dispositions. De Gaulle vient de faire basculer les idées d’une administration britannique/américaine pour la France. Il vient de jeter les bases pour une France indépendante après la guerre. Il a joué le tout pour le tout et pris les Alliés de court. Francois Coulet va recommander aux banques de prendre les  « billets drapeau » dans leurs trésors mais de ne pas les distribuer.                                                                                                                                                                                                                                           

 La situation est claire : De Gaulle est la France et le fait remarquer. Pour lui le débarquement en Normandie qui le marginalise est une blessure, même si cela est le début de la libération de son pays. Par contre pour les Anglais, les Américains, les Canadiens, les Australiens, les Indiens et les autres troupes des Alliés il ne s’agit pas de libérer la France, il s’agit de combattre un système dictatorial, les Nazis et Adolf Hitler, de combattre un système qui avait soumis 15 pays au moment du débarquement.

Charles de Gaulle n’est pas à la fin de sa peine avec le débarquement. Bayeux est la première ville française libérée des Allemands. Mais c’est Winston Churchill qui y va le premier, sans de Gaulle le 12 juin 1944. Lui a le droit d’aller à Bayeux deux jours plus tard, avec des consignes strictes, qu’il ne prend pas en considération. Il a découvert que les Américains ont déjà préparé une nouvelle monnaie pour la France d’après la guerre. Les USA avaient en effet un plan très vaste pour la gouvernance de la France après la guerre. De Gaulle va à l’encontre de toutes les dispositions. Mais il ne peut pas empêcher que les Alliés installent une monnaie qu’ils appellent « le billet drapeau » que de Gaulle qualifie de « votre fausse monnaie » quand il parle avec Churchill. A ce moment-là existait déjà le nouveau franc français du trésor français et mis en circulation en Corse. Lorsqu’il arrive à Bayeux il a déjà tout préparé.

Le débarquement en Provence a lieu au mois d’août 1944 avec la participation de troupes françaises. Dwight D. Eisenhower avait promis à de Gaulle que des forces françaises participeraient à la libération de Paris. Il tient parole, même plus. Patton contourne Paris avec sa 3ème armée vers l’est et vers l’ouest. La division Leclerc, qui attend à Argentan, a la voie libre pour libérer Paris. De Gaulle connaît son triomphe en descendant les Champs-Elysées.

Des Monuments sur la plage de Omaha Beach

Charles de Gaulle a fondé la base pour la 5ème République. Il a imprégné la France d’un style et de principes de politique. Mais il a aussi pris des décisions qui ont aujourd’hui encore de graves  conséquences. Lors de la discussion sur une nouvelle armée allemande dans le cadre d’un traité européen de défense (CED) il était catégorique. Il disait dans une interview avec le New York Times le 21 janvier 1954 : »Vous pouvez avoir un réarmement progressif de l’Allemagne.. . . .Je garantis que l’armée européenne ne passera pas. Je ferai tout ce que je peux contre elle. Je collaborerai avec les communistes pour la bloquer. Je préférerais m’allier avec les Rouges (les Russes) pour l’arrêter. »

Cette situation de 1943 et 1944 a pourtant des conséquences dans la politique internationale et dans la géopolitique jusqu’à aujourd’hui. De Gaulle n’a jamais participé aux commémorations en Normandie, qui étaient des commémorations militaires pendant 39 ans. François Mitterrand en a fait un événement politique. Pour les commémorations des 40 ans après le débarquement, le président américain Ronald Reagan prononça son discours sur le cimetière de Colleville-sur-mer et à la Pointe du Hoc comme le président Biden 40 ans plus tard. Le ton de Biden en 2024 – qui évoque la bataille pour la liberté de l’Europe – est le même que celui de Reagan en 1984.

Bllet du nouveau Franc français utilisé en Corse après la libératiopn et introduit avant la “fausse monnaie britannique/américain”.  Archives personnelles André Denot. Mis gracieusement à disposition pour la publication de l’article.   

Le Bundestag (parlement allemand) avait ratifié le CED le 19 mars 1953. L’assemblée nationale refuse la création d’une armée européenne le 30 août 1954.

Il faut se souvenir des blessures de de Gaulle à Londres pour comprendre sa politique dans les années 1960. Il utilise l’anti-américanisme mondial suite à la guerre du Vietnam pour casser le principe du Dollar garanti par l’or. Il retire la France des instances de commandement de l’Otan et il demande aux Américains de quitter la France. Lors ses négociations avec les Américains l’atmosphère est glaciale. Un dialogue est connu et célèbre.

De Gaulle : « Je veux que tous les Américains quittent le pays, tous ! »  Le chef de la délégation américaine : » Tous ? Les morts aussi ? »

De Gaulle ne touche pas aux cimetières. Les Américains sont en plus exonérés de la taxe foncière pour leurs cimetières.

Billet de remerciements de Charles de Gaulle adressé à l’auteur de l’article dans les années 1960;. Archives personnelles de Helmut Wyrwich

80 ans après le débarquement les sentiments en Normandie sont toujours divisés. Avec la libération c’est la guerre qui est arrivée, avec des destructions, avec des bombardements. 20.000 ou 40.000 Normands auraient perdu leur vie. Les chiffres varient. Les villes comme St. Lô ou Mortain sont détruites. Ici et là on peut toujours sentir un certain anti-américanisme. Mais la région côtière vit du tourisme de guerre. Les Golfeurs connaissent le golf de Omaha Beach avec ses vues époustouflantes sur les plages du débarquement. Au trou numéro six on arrête le jeu pour descendre dans un bunker allemand. Les trous de ce golf portent tous les noms des leaders du débarquement comme Churchill, de Gaulle, Patton, et le joueur écossais de cornemuse Millen.    

Les conséquences de sa position et de la décision de l’assemblée nationale de l’année 1954 sont lourdes. Le chancelier Adenauer conduit une politique strictement transatlantique. L’Allemagne se met sous le parapluie nucléaire des USA. L’Allemagne se fie à l’armement américain. Le chancelier définit la politique de réunification dans le cadre d’une politique européenne, ce qui arrive avec Helmut Kohl et François Mitterrand, 35 ans plus tard.  

La France qui a refusé une coopération de la défense en 1954 demande aujourd’hui une politique commune, européenne de la défense. Et le pays qui, par ses décisions de 1954, a ouvert la porte à une politique transatlantique de l’Allemagne, critique aujourd’hui ses achats d’armes aux USA.

N’oublions pas le président de Gaulle qui dans les années 1960 retrouve le chancelier Konrad Adenauer pour une réconciliation entre les deux pays. Et n’oublions pas que Charles de Gaulle fait de la France le membre fondateur de l’Union Européenne. Ce sont les contradictions des personnes qui ont marqué l’histoire du 20ème siècle.

Photo mythique de François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun. 35 ans après le refus d’une armée européenne les deux hommes d’Etat se retrouvent pour la réunification de l’Allemagne.

Malgré toutes les difficultés que Charles de Gaulle a vécues à Londres, il s’y est fait incontournable. Il a réussi à mettre  la France à la table des vainqueurs de la guerre et l’a établie comme membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU. De cette façon il lui a assuré une importance internationale permanente. On n’aurait pas pu faire mieux dans la situation où il a vécu.

Les commandos Kieffer

L’expression commandos Kieffer désigne les hommes du 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commandos (1er BFMC) créé au printemps 1942 en Grande-Bretagne par la France libre (FNFL) et commandés par le capitaine de corvette Philippe Kieffer. Détachés au sein du commando britannique numéro 4 avant le jour J, 177 membres du bataillon s’illustrent en participant au débarquement de Normandie (Sword Beach, Ouistreham), seuls représentants de la France à débarquer sur les plages puis dans les combats qui ont suivi en Normandie. Sur les 177 commandos qui débarquent le 6 juin 1944, 10 sont tués le jour même, puis 10 lors des jours suivants. Seuls 24 hommes terminent la campagne de Normandie sans avoir été blessés, après 78 jours de déploiement, alors qu’ils ne devaient initialement combattre que 3 ou 4 jours.

De Gaulle refuse de participer aux commémorations

En octobre 1963, Charles de Gaulle explique à Alain Peyrefitte son choix de ne pas assister aux commémorations de 1964: « La France a été traitée comme un paillasson. . . . Il faut commémorer la France, et non les Anglo-Saxons.  Eh bien, non ! Ma décision est prise ! . . . Churchill m’a convoqué d’Alger à Londres, le 4 juin. Il m’a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d’hôtel. Et il m’a annoncé le débarquement, sans qu’aucune unité française n’ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement. » (Churchill m’a dit 🙂 « Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! »

Le cimetière américain de Saint James.

(De Gaulle continue) «Le débarquement du 6 juin a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne ! Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis. C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous- préfets, mes comités de libération ! Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ?

 Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! Et puis, ça contribuerait à faire croire que, si nous avons été libérés, nous ne le devons qu’aux Américains. Ça reviendrait à tenir la Résistance pour nulle et non avenue. »

La citation est extraite du livre « Charles de Gaulle » – tome II – chapitre 14, d’Alain Peyrefitte, ancien ministre de l’information de de Gaulle et également ministre sous les présidents Giscard d’Estaing et Georges Pompidou.

L’article est une vulgarisation sur la base de sources :

  • Benoit Rondeau, Le Général Patton – le héros controversé de l’US Army,- édition Tallandier, 731 pages,13.50 Euro ; ISBN 979-10-210-5975-7
  • 1948 – 1988 France-Allemagne; Un nouveau chapitre de leur histoire ; Documents ; Institut franco-allemand, Ludwigsburg
  • Jean-Luc Barreau, De Gaulle – une vie – L’homme de personne 1890-1944, 981 pages; Grasset, 2023, 30 Euro ;ISBN 978-2-246-83417-5 ;
  • Geo-Histoire, Hors Serie, De Gaulle, Juin-Juillet 2020,
  • Paris Match, De Gaulle et nous, Septembre-Octobre 2020.

Texte corrigé, deuxième publication 12.03 h. Texte élargi par le placement supplémentair d’un billet de l’argent de la libération. 12.44h

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One thought on “UN HOMME – UN DEBARQUEMENT – UN DECRYPTAGE

  1. Merci Helmut pour cet article fort intéressant.
    Je ne savais pas que tu détenais un tel trésor dans tes archives personnelles…
    Bien à toi
    Isabelle

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