LE RETOUR DANS L’AUTORITAIRE – UN DECRYPTAGE

Et si le Rassemblement National n’était pas extrême ? Si ce mouvement politique expliquait un conservatisme dur qui se trouve caché dans la société française ? Si le mouvement représentait une ligne autoritaire de la politique qu’on souhaite retrouver parce que la France n’a pas su faire avec la démocratie de la Quatrième République et parce que les institutions de la Cinquième République se sont de plus en plus dégradées avec les présidents qui ont suivi le Général ? Et si les hommes et les femmes politiques n’étaient simplement pas capables de remplir leur rôle et de prendre leurs responsabilités dans une démocratie semi-parlementaire et semi-présidentielle ? Et si, à la fin, le loup Rassemblement National avait mis la peau du mouton pour convaincre qu’on puisse bien vivre avec lui ? Et si à la fin c’est cela qui a eu comme conséquence le raz-de marée de ce parti le 30 juin 2024 qui l’a mis devant la porte d’une majorité absolue?

Il est grand. Il est bien habillé avec son costume-cravatte. Il est jeune, n’a que 28 ans et s’imagine déjà premier ministre de la France. Pendant une heure et demie Jordan Bardella développe ses idées d’une politique après le 7 juillet, deuxième journée d’élection de l’assemblée nationale. Ce matin, dans la salle Hoche à Paris, Jordan Bardella s’adonne à une répétition générale d’un discours de politique générale à faire en tant que premier ministre. Il est clair, mais prudent.  Il développe des idées pour une réforme des retraites, il annonce une politique énergétique, il parle du pouvoir d’achat. Et il parle de l’immigration, sujet favori de son mouvement. Il veut en finir. Il veut renvoyer chez lui tout ce monde qui, à son avis, n’a rien à faire en France. « On n’a pas besoin en France de 400.000 ou 500.000 immigrés par an si on a un taux de chômage de 7,5 %. » Sans le dire « expressis verbis » il annonce qu’il souhaite vivre dans une France qui est aux Français. Mais quels Français ? Parce que, à son avis, Français n’est pas égal à Français.

Marine Le Pen, la femme qui a implanté un mouvement politique comme parti politique avec des structures partout en France et qui a fait croire aux Français que le Rassemblement National serait un parti politique normal. Elle a été réélue membre de l’Assemblée Nationale. au premier tour des élections le 30 juin avec une majorité absolue

Il touche à tous les sujets qui inquiètent les Français et il indique ce qu’il veut faire. Sa politique envers l’Ukraine ne manque pas de clarté non plus : pas de soldats français sur le sol ukrainien. On va livrer des armes, mais pas celles qui peuvent toucher le sol russe.

Clarté aussi sur la politique éducative. Il va soutenir la politique de l’uniforme à l’école et : « On va vouvoyer les professeurs ». Etonnement : cela ne se fait plus ? C’est pourtant la moindre des politesses à l’école. Et : est-ce vraiment l’affaire de quelqu’un qui se veut premier ministre de s’occuper de tutoiement ou de vouvoiement en classe ? Jordan Bardella va plus loin. Les téléphones portables sont interdits à l’école. D’une certaine façon c’est typique pour ce qui se révèle quatre jours avant le premier tour des élections.  Bardella met la forme devant le contenu.

Pourtant on doit demander du contenu à l’école. On doit demander à l’école de faire apprendre et comprendre aux enfants, de faire penser et réfléchir les enfants et les jeunes. On doit demander aux professeurs de s’y vouer, de travailler intensément avec les élèves dans des cadres clairement définis.  Et on doit demander à l’école moderne de n’abandonner aucun élève. L’école moderne a la possibilité d’aider les faibles et de faire progresser les  bons. La classe unifiée de jadis a vécu. Dans l’école moderne on travaille en groupes selon les capacités des élèves pour les faire avancer d’après leurs capacités. De tout cela : rien chez l’homme qui se veut futur premier ministre de la France. Au lieu de ça : uniforme et interdiction, c’est à dire discipline et autoritarisme où on doit demander la pédagogie.

Est-ce qu’on croit vraiment égaliser les différences sociales par un uniforme ? L’uniforme ne cache pas la différence entre un enfant qui grandit avec des livres et des jeux de société et un enfant qui grandit dans d’autres circonstances. Qu’est-ce qui se passe si l’un arrive avec un uniforme bien lavé et repassé et l’autre avec des taches ? L’autoritarisme, la discipline et la forme ne résolvent pas les problèmes de l’école mais ce sont des traits caractéristiques d’un conservatisme dur. A la fin : interdire le téléphone à l’école au moment où les professeurs communiquent les cours, les devoirs, les notes par téléphone portable montre que le Rassemblement National n’a rien compris de l’école d’aujourd’hui et prend la voie facile. Interdire au lieu de convaincre.  Autoritarisme au lieu de Pédagogie.

Quatre jours avant le premier tour des élections les femmes et hommes politiques sont tellement sûrs de leur succès que les langues se délient etque la discipline faiblit. Le candidat Joseph Martin du Morbihan fait paraître une info sur un service internet : « Le gaz a rendu justice aux victimes de la shoa ». Dans une discussion avec le premier ministre Gabriel Attal Jordan Bardella nie l’existence de cette phrase. Radio France Info la confirme après recherche. Joseph Martin s’excuse. . .et reste candidat.  Une petite remarque : de l’autre côté du Rhin le procureur de la République se serait activé tout de suite et sans aucune hésitation.

Jordan Bardella dans sa posture de président du Rassemblement National explique sa politique. Un Français n’est pas égal à un Français. La constitution française dit autre chose, mais Bardella maintien ses propos. Les futurs hauts fonctionnaires seraient des Français de pur souche.  Plus aucune chance pour un bi-national de devenir directeur d’une centrale nucléaire. Les positions de sécurité, les haut-fonctionnaires de l’Etat sont réservés au Français purs. Une position qui sera censurée par la Cour Constitutionnelle. Pourquoi : un bi-national franco-allemand ne peut plus se prévaloir de la protection allemande en France. Il est français avec sa carte d’identité française et sera traité comme le français qu’il est.  

Le résultat du 1er tour du 30 juin 2024

RN                         33,14 %         250 – 270 sièges

Front Populaire   27,99 %         180 – 200 sièges

Ensemble              20,76 %           90 – 125 sièges

LR                           10,23 %           30 –   50 sièges

Le parlement a 577 sièges. La majorité absolue est de 289 sièges. Il est peu probable que le Rassemblement National y arrive. Constitutionellement et politiquement on aura de nouveau une situation instable en France.

Et pourtant : Bardella  cite l’exemple d’un franco-russe, qui pourrait passer des informations sur le nucléaire à la Russie.  Quel suspicion : Un franco-allemand, franco-belge, franco-américain, franco-autrichien, franco-israelien, etc. : tous des espions possibleset traîtres à  la cause française. Une absurdité sans pareille. Bardella essaie de calmer : ce ne seraient qu’autour de 20 personnes, Sébastien Chenu parle de 50.  Mais puisque les langues se délient en vue d’une victoire aux élections, les bons soldats du mouvement suivent tout de suite. Najad Vallaud-Belcacem, franco-marocaine, n’aurait jamais dû devenir ministre de la culture sous le président Hollande. Du racisme pur. Marine Le Pen essaie de calmer le jeu. Mais le mal est fait. Une seule phrase a fait revivre les mauvais démons  du Rassemblement National.  Il reste cette impression: pour le RN, les bi-nationaux sont des Français de deuxième classe. Peu importe la constitution. On parle de trois millions de bi-nationaux vivant en France. Un chiffre non certifié.

Au fond ce n’est pas nouveau. Dans les années 1990 l’auteur de cet article a eu l’occasion de rencontrer Jean-Marie Le Pen lors de sa visite dans le bassin houiller autour de Forbach à la frontière franco-allemande. Déjà à cette époque le fondateur du Front National refusait strictement la bi-nationalité avec une seule phrase « On ne peut servir qu’une seule patrie ». Jean-Marie Le Pen oubliait en ce moment que Pierre Bousquet (1919-1991), qui signait avec lui le statut du Front National et le fondait en 1972, avait été Caporal (Rottenführer) de la 33ème division de grenadiers SS Charlemagne. Un Français qui avait combattu aux côtés des NAZIS, dans une des unités des plus cruelles.  Condamné à mort après la guerre,  il fut gracié à trois ans de prison (qu’il ne purge pas totalement) et devint une figure de différentes organisations d’extrême droite jusqu’à sa mort. Bardella prouve que les idées fondamentales ne disparaissent jamais dans les mouvements politiques. C’est le Français qui sert les Nazis et devient Co-Fondateur du Front National. L’exemple qui contredit aussi bien Jean-Marie Le Pen que Jordan Bardella.

Jean-Marie Le Pen. Il a fondé le Front National en 1972 comme mouvement radical de droite. Mouvement, que sa fille a renommé Rassemblement National et dont elle a formé un parti politique. Jean-Marie Le Pen a été désisté de ses fonctions par sa fille. Elle l’ avait en plus chassé du parti parce que ses idées ne convenaient plus.

Jean-Marie Le Pen avait des raisons pour se trouver dans le bassin houiller. Le succès de son parti commence à cet endroit. Les mines ferment. Les gens perdent leurs emplois. La réponse de la politique consiste en programmes sociaux. Dans les vallées sidérurgiques on ferme des hauts-fournaux et délaisse une région dévastée. Les partis politiques n’ayant pas de réponse adéquate, les ouvriers se tournent vers le Front National. La ville de Hayange sera la première ville française avec un maire frontiste.

Marine Le Pen, qui prend le parti en main, sent ce changement de la société. Elle transforme le mouvement en un parti politique qui s’implante peu à peu dans toute la France. Fini le Front National qui avait comme seul but de hisser Jean-Marie Le Pen au poste de président de la République. Bienvenu un parti politique de droite qui propose des solutions simples dans un monde de plus en plus compliqué.  Marine Le Pen s’est dévoilée en une « bête politique «  qui sait gérer « son » parti, et qui n’abandonne jamais, convaincue de réussir à hisser son parti au pouvoir, qu’elle fait nommer « Rassemblement National ». Peu à peu les sujets qui fâchent disparaissent du discours du Rassemblement. La sortie de l’Euro ? Les Français n’en veulent pas. L’idée n’est pas poursuivie. Reprendre le pouvoir sur la Banque de France ? Idée oubliée. Combattre l’espace Schengen ? L’idée disparaît, est reprise avec l’idée d’une frontière intérieure à l’Union Européenne pour combattre l’immigration illégale. Le programme du Rassemblement National se vide de toute idée qui pourrait inciter une controverse. Sauf une : Le Rassemblement national ne veut pas d’une Europe intégrée. On ne va abandonner aucun millimètre de la souveraineté française. Et là où c’est déjà fait, on va essayer de récupérer. Le slogan est : « Coopération oui, intégration non ».  Jordan Bardella trouve que la cotisation de la France avec 21 milliards d’Euros est trop élevé. Il veut la réduire de deux milliards d’ Euros. Le philosophe politique Jacques Attali répond à ces idées que l’avantage de l’Union Européenne pour la France vaut bien 60 milliards d’Euros.  

Bardella est la nouvelle  « bête politique » du  Rassemblement National. Imperturbable, rien ne peut le toucher pendant les débats publics. Il est toujours sans équivoque,  phrases courtes, réponses concluantes, mots clés interjectés, si nécessaire il est polémique  ou sarcastique. A son âge il a tout pour maîtriser la scène publique politique.  Marine le Pen a choisi un successeur jeune, talentueux et absolument froid, qui sait fasciner et qui ne présente pas de danger pour elle pour les élections présidentielles 2027 parce qu’il sera encore trop jeune.

Il est peu probable que la France quitte l’Union Européenne. Mais le Rassemblement National a clairement indiqué que la France va poser ses conditions. Il se prononce contre une intégration, accepte au maximum une coopération, souhaite ré-installer des frontières intérieures, réduire sa cotisation.

Pour son discours à la salle Hoche il change de ton. C’est le futur premier ministre qui parle. Son discours est programme et répétition générale pour son discours de politique générale en même temps.  La France, rien que la France, c’est le « Leitmotiv ». Il sait qu’il aura fort à faire. Il aura un combat journalier avec le président Macron. Il n’aura pas le soutien de l’économie française. Aucun chef des grandes entreprises françaises ne s’est déclaré en faveur de son parti. Bruxelles, où il voit des adversaires,  a mis la France sous surveillance.  La différence du taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne pour des emprunts de dix ans s’élève à sept points de base et est grandissant. Les marchés augmentent la pression. Le déficit budgétaire se trouve à 5,6 %. Bardella sait qu’il se trouve dès sa première journée de premier ministre sous pression. Il a peu de chances de survivre avec son gouvernement s’il n’arrive pas à une majorité absolue. Et en plus il sait qu’il ne maitrise en rien la dette française. Elle est à 30 % dans les mains de Banque Centrale Européenne, à 40 % en mains des étrangers majoritairement anglo-saxons et américains.

On aime relativiser en France l’importance des agences de notation. Fitch et Moody’s ont mis la France sous supervision, S&P a dégradé la France à AA-. La distance vers les meilleurs de la classe qui sont classés AAA devient de plus en plus grande. Ce qui sauve la France dans leurs jugements est la capacité d’encaisser les impôts. Mais – malgré ce qu’on a pu entendre pendant la campagne électorale – cette capacité est épuisée si on ne veut pas risquer un autre mouvement comme les « gilets jaunes ». La conséquence : Bardella  a mis de larges parts de son programme en veilleuse.

Il a demandé un état des lieux des finances du pays. Ce qui a l’air de polémique est au fond nécessaire pour lui pour connaître sa marge financière. Baisser la tva, fixer un prix pour le kw/h et tous les autres mesures qui sortent la France de son timide libéralisme économique vers un système dirigiste vont baisser les rentrées d’argent et limiter considérablement son champ d’action.   

Pour revenir au début : et si le Rassemblement National n’était pas extrême ?

Pour les élections sénatoriales en 2023 les préfectures avaient classé le RN parmi les mouvements radicaux. RN avait porté plainte contre ce décret. Le conseil d’Etat a rejeté cette plainte. Ce qui a amené partiellement la presse parisienne à communiquer que le conseil d’Etat aurait classifié le RN comme « extrême de droite ». Est-ce vrai ? Non !

Le Palais Royal, siège du Conseil d’Etat, qui a pris une décision de justice mal comprise par des médias.

 Arnaud Gossement est avocat, docteur en droit et professeur associé de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a examiné le jugement du Conseil d’Etat dans un article publié par le « club des juristes » le 28 juin 2024. Il conclut : « en réalité le RN est d’extrême droite parce que l’histoire l’enseigne, mais pas parce qu’un juge l’aurait décidé » Et il continue : « le Conseil d’Etat a très exactement contrôlé la légalité d’une circulaire qui ne comportait pas non plus cette qualification ». La justice a donc contrôlé si le circulaire était correct par la forme, mais n’est pas entré dans le sujet. Dans le langage du juriste Arnaud Gossement : (le juge) « n’a pas procédé à la qualification générale de la sensibilité ».

D’où vient la notion d’extrême droite?

Les groupements parlementaires sont nommés de la perspective du président de l’Assemblée Nationale de gauche à droite. On les classe « la gauche, le centre/les libéraux, la droite ». Les groupes à l’extrême de la gauche et de la droite sont techniquement qualifiés « d’ extrêmes ».

Mais il y a aussi une considération scientifique des extrêmes. Une large gamme de littérature en Sciences-Po s’occupe de cette question. Dans cette littérature les extrêmes de droite et de gauche se caractérisent par

  • Le rejet de l’immigration
  • Un projet autoritaire en toute matière intérieure
  • Une rhétorique antisystème et hostile aux partis politiques traditionnels
  • Une rhétorique souverainiste et hostile aux traités européens
  • Une rhétorique caractérisée par l’antisémitisme
  • Des courants identitaires et national-populistes
  • Des courants traditionnalistes comme la réaction et l’intégrisme.

Alors : Le RN est-il un parti d’extrême droite ?

publié à 11.06 h, adapté à 11.53 h

 

  

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