Le déchirement d’un monument

Pas de quotas mais une régulation qui correspond aux quotas. C’est la solution que le management du Mont Saint-Michel semble pratiquer cet été pour les touristes au Mont Saint Michel. Quand il y a un « surplus » de touristes on veut mettre moins de navettes pour les conduire au monument, peut on lire dans la presse régionale.

« Je me prononce contre des quotas pour des touristes ». Le maire de la commune du Mont-Saint- Michel Jacques Bono prend position sans équivoque dans un article paru le 12 août 2023 dans le très sérieux journal hebdomadaire allemand « Die Zeit ». Sous le titre « Es gibt Exzesse, die darf man nicht leugnen » (il y a des excès qu’on ne peut pas nier)  l’article examine le soi-disant « sur-Tourisme » en France et décrit entre autres la situation au Mont Saint Michel.

Jacques Bono, maire de la commune du Mont Saint. Michel. (c) Agglomération Avranches Mont Saint-Michel

Bono ne dément pas qu’il y ait un grand nombre de touristes. Depuis le début de l’année le Mont Saint Michel a déjà dû digérer autour de trois millions de touristes. Une augmentation de 200 000 à peu près par rapport à l’année dernière. Mais il relativise : « Nous avons des visiteurs, bien préparés, qui s’intéressent au monument, qui ont réservé leur  visite. Et nous avons des touristes. Eux font des selfies. Ils ont une liste et font des crochets sur ce qu’ils ont vu : les châteaux de la Loire, le Mont Saint-Michel, la tour Eiffel… Les visiteurs arrivent très tôt le matin ou vers la soirée. Les touristes viennent entre 10 et 16 heures».

Il admet pourtant envers DIE ZEIT qu’il y a des jours avec une très forte affluence : « Autrefois nous  avions cinq à six jours avec une très forte affluence, aujourd’hui c’est le double ».  L’auteur de l’article évoque une journée au mois de mai où le management du monument a signalé aux automobilistes sur l’autoroute et la route nationale de déplacer leur visite et a finalement demandé aux touristes de ne plus venir parce qu’il n’y avait plus de places de parking et ni de possibilités de visite. On pouvait voir de tels avertissements aussi le jour de l’assomption (15 août) et pendant presque tous les weekends prolongés.

lI faut faire la queue avant de monter dans la navette allant au monument. (c) wy.

Le Mont Saint-Michel est devenu une victime de lui même. A la fin du siècle dernier on connaissait déjà autour de 3 millions de visiteurs qui pouvaient y aller sans aucune canalisation. L’idée de stopper l’ensablement, de casser la digue menant au monument, de la remplacer par un pont, de rassembler les touristes à des kilomètres et de les canaliser, a tout changé. Avant, le Mont Saint Michel était tout simplement « le Mont ». Après, avec l’idée d’en refaire un ilot, et de recréer un monde maritime, c’ést devenu une sensation touristique qu’il faut avoir vu. « Le Mont dans l’eau » : cela se passe régulièrement avec un coefficient de marée autour de 100 à 110. Le pont est alors en partie sous l’eau et celui qui se trouve dans le château y est prisonnier pendant la marée. Ce n’est plus « le Mont » qu’il faut avoir vu, mais la mer qui l’entoure, les canoës et les bateaux autour. Il y a encore des habitants des villages qui se rappellent de la venue du président Mitterrand par un temps infect pour voir les premiers coups des pelleteuses qui cassaient la digue vieille de plus de 100 ans. La structure qu’on a créée fonctionne comme un entonnoir. On arrive sur les parkings, se met dans la queue pour les navettes pour être transporté ensuite au monument. S’il y a trop de visiteurs, on ralenti la tournée des navettes. Cette régulation est en fin de compte une réduction des visiteurs avec le même effet que si on avait instauré des quotas. 

Mais ce n’est pas seulement cela. Le Mont est devenu une marque et un instrument de marketing pour une multitude d’événements. Le management crée de occasions supplémentaires où l’on peut trouver jusqu’à 15 000 personnes. Elles se sont retrouvés pour une nuit de spectacle avec 15 Drones. On avait invité les spectateurs à apporter des lampes de poche pour retrouver les chemins des parkings parce qu’on éteint la lumière le soir pour économiser de l’électricité et permettre la nuit à la nature. Pour en énumérer deux autres : un marathon et un triathlon. Et naturellement la flamme olympique fera station au monument. La fierté qu’elle vienne a pourtant un prix : 180 000 Euros. Une somme que le Département de la Manche et l’entreprise publique de gestion se partagent. C’est bien de l’argent du contribuable dont il s’agit.

Ancien terrain de sport de Tanis. Il sera transformé entr’autres en terrain de stationnement pour des Camping Cars. (c) wy.

   C’est bien cela le déchirement « du Mont » : d’un côté on veut limiter le nombre des visiteurs, de l’autre on incite à y venir. Existent en plus de très bonnes documentations de télévision sur le Mont Saint-Michel, vieilles de quelques années, mais avec un directeur du site qui était un excellent vendeur, qui savait en parler. Des documentations qui donnent envie d’y aller. Les allemands d’ailleurs se trouvent sur le podium des touristes étrangers. Numéro 2 en 2021, numéro 1 en 2022 d’après les statistiques des offices de tourisme de la Baie du Mont Saint-Michel. Les Belges et les Espagnols arrivent sur les places 2 et 3, ensuite le Américains.

Jacques Bono ne veut pas limiter le nombre de touristes au Mont Saint Michel. Il y a une raison qu’il  n’évoque pourtant pas. Un couple d’allemands de la Ruhr, ayant visité le Mont, va revenir le lendemain matin «pour parler avec l’abbé ». Le Mont Saint Michel est toujours un lieu de prière et un lieu pour les pèlerins, même si les institutions de la vie civile  l’admettent difficilement. Et même si des concerts de chants populaires, des concerts de musique numérique ou autre y ont lieu, l’abbaye est toujours un lieu où on dit la messe.

Plus de 13 000 touristes sont arrivés cet été par les trains spéciaux de Paris au Mont Saint-Michel par la gare de Pontorson. (c) wy.

Le Mont Saint-Michel vit une vie déchirée entre les touristes qui veulent voir ce que les évêques et les moines ont construit durant 1 000 ans et ce qu’il en reste avec quelques moines et quelques religieuses. Ce n’est pas étonnant que le maire de la plus petite commune de France voit d’abord l’importance économique du monument : « Le lieu et l’économie profitent des touristes qui font des courses ici, mangent et boivent. » Et même l’entreprise de gestion agit sur cette ligne. Elle fait installer un restaurant dans l’ancienne caserne des gendarmes et des pompiers. Eux seront installés sur la terre ferme à quelques kilomètres du monument.

Le développement du tourisme a commencé il y a 140 ans environ, lorsque le train des villes bretonnes Vitré et Fougères par Pontorson arrive au Mont Saint Michel et change l’économie de la baie. Le conseil général de la Manche de l’époque a arrêté le train, a fait enlever les rails lorsque la voiture est arrivée parce que par rapport aux bus et voitures individuelles le train n’était plus rentable. Il y a un peu plus de vingt ans, aux cours des discussions « d’un Mont à l’eau » on discutait de nouveau l’installation d’une ligne de train jusqu’au Mont Saint-Michel. Avec un changement politique, le plan est tombé à l’eau. Aujourd’hui, sous la pression de l’Unesco et de la politique « pro-nature » on essaye de réguler la venue des voitures sans véritablement y arriver et sans proposer des alternatives.

On cherche des parkings partout à proximité du Mont Saint-Michel. Et ceci malgré 5 000 places disponibles. “Trop cher” disent les touristes auxquels on demande pourquoi ils se mettent là. Pour un laps de temps de trois à quatre heures de visite les parkings coûtent plus cher qu’au château de Versailles ou à Chambord. (c) wy.

L’autre problème du « surtourisme » dans la Baie : on y trouve des gîtes et des chambres d’hôtes partout. Mais en même temps on manque cruellement de logements dans les villages et les villes de la baie. Avec le temps, le tourisme lui-même a changé. Les tentes sur les campings ont presque disparu. Elles ont été remplacées par des mobilhomes, des caravanes et des camping cars qui se garent partout parce qu’il n’y a pas assez de places. Le supermarché Carrefour Market à Pontorson a mis une partie de son parking au service des camping cars, le village de Tanis transforme un ancien terrain de foot en air de camping car. Le village de Servon qui a déjà installé un parking pour les nomades modernes avec les camping cars voit un net succès dans l’occupation. Et quand même : on trouve partout ces engins garés dans les rues. Ardevon, village appartenant à Pontorson voit ses rues engorgées de cars et voitures garées. La même chose dans des chemins agricoles. La raison ne se trouve pas dans trop peu de places de parking. Il y en a 5 000. Bien que les tarifs pour la journée aient été baissés au mois d’août, ils sont toujours considérés trop élevés.    

Les camping cars cherchent un lieu de stationnement partout, ici dans la rue principale d’Ardevon. On stationne, on va à pied jusqu’au terminus des navettes ou au barrage, pour se faire transporter au monument. (c) wy.

Alors, y a-t-il un « surtourisme » au Mont Saint Michel ? Possible sur plusieurs niveaux. Mais on fait beaucoup pour l’inciter comme si « le Mont » en tant que tel ne suffisait pas à lui-même pour créer l’intérêt touristique. Ce qui est indéniable c’est que dans le Sud Manche on a structuré toute une industrie touristique qui vit du Mont Saint-Michel. Le maire du village du Mont Saint-Michel, Jacques Bono, a tout à fait raison avec son avis exprimé dans le média allemand qu’il ne faut peut-être pas trop se plaindre puisque la Baie en vit.

Le Journal DIE ZEIT

Ce n’est pas la première fois que l’hebdomadaire allemand s’occupe du Mont Saint Michel. L’article paru le 12 août 2023 prend le monument comme exemple pour les problèmes du tourisme en France. Il évoque ces 90 millions de touristes qui découvrent l’hexagone tous les ans. Mais décrit surtout les problèmes qui en résultent : limitation de visiteurs dans des lieux en méditerranée, limitation des visiteurs sur certaines îles en Bretagne, et enfin limitation des visiteurs sur des îles en Normandie. La France ne veut pas et ne peut pas se passer de ce tourisme mais veut le diversifier. Cela aussi est le sujet de l’article.

“DIE ZEIT”, journal de grande réputation en Allemagne. (c) wy.

 Le journal Die Zeit figure parmi les journaux les plus importants de l’Allemagne. C’est un journal social-libéral qui a créé un journalisme profond et sérieux, parfois discuté et disputé depuis sa création en 1946. Il aurait aujourd’hui un tirage de plus de 600 000 exemplaires. Dans le journalisme allemand le journal est considéré d’une qualité supérieure qui s’occupe très souvent des sujets à part et crée la discussion. Il ouvre avec sa culture du « pour » et « contre » la discussion contradictoire sur des sujets. Die Zeit est célèbre pour  ces articles fondés. Le journal est influent par son lectorat dans l’intelligence allemande.

La « surcharge » du Mont Saint-Michel par des touristes n’est pas seulement le sujet dans « Die Zeit ». Le journal télévisé du soir le plus regardé en Allemagne, le « Tagesschau » de la première chaine ARD y a consacré un reportage. La chaîne « Euronews » en a fait un sujet ainsi que plusieurs journaux dans la presse écrite.   

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