L’église en marche arrière – Un décryptage

L’église catholique de la Manche se trouve sur le chemin du conservatisme. L’ancien évêque de Coutances et d’Avranches, Monseigneur Le Boulc’h, aujourd’hui archevêque à Lille, a ouvert grandement les portes pour la communauté Saint Martin, réputée pour un courant conservateur dans l’église catholique en France. A son départ il laisse un évêché en plein bouleversement, une restructuration infinie et des irritations chez les fidèles.  Il est à craindre que la relation difficile des prêtres avec les femmes (1) ne ressurgisse et que l’on observe un retour aux cérémonies et à la position du prêtre comme décrits par le Pape Pie X (1835-1914); (pape de 1903-1914), (2).     

Pie X. Le pape qui voulait protéger l’église contre l’influence du modernisme.

Pour comprendre le mouvement, il faut regarder le développement de l’église 61 ans en arrière. Le pape Jean XXIII annonce en 1958 qu’il envisage de réunir évêques et cardinaux de l’église catholique. Le concile « Vatican II » réunira 2 100 évêques de 136 pays du monde pour la session d’ouverture. Jean XXIII meurt en juin 1963 après la première session du concile. Le pape Paul VI lui succède. Le concile se termine en 1965.

Néanmoins : Jean XXIII avait senti que le monde et l’église allaient se séparer, que l’église s’était enfermée dans ses dogmes et ses cérémonies. Ce pape avait senti très tôt que les années 1960 seraient des années de changement d’un monde d’antan vers une nouvelle société. Une société qui allait se débarrasser des idées inflexibles, des mœurs d’une caste et d’une époque des dirigeants « d’hier ».

Pie V, le saint. Le pape qui a façonné l’église catholique il y a 500 ans.

Le concile « Vatican II » était une révolution dans l’église catholique. Avec beaucoup de difficultés et beaucoup de disputes les dignitaires de l’église catholique créèrent les bases d’une église « moderne » de l’époque. Pourquoi « moderne » et «révolutionnaire » ? Le 21ème concile de l’église catholique produit 16 textes comme nouvelle loi fondamentale, neuf décrets, trois déclarations, quatre constitutions, partiellement inspirés par une coalition des évêques français et allemands. (3)

On interprète le concile Vatican II aussi comme une réaction contre l’immobilisme qui s’est installé après le concile de Trente (1545-1563) sous le pape Pie V. Ce pape créa le rite romain, standardisa la messe, inventa la « Messe Tridentine » (le prêtre avec le dos aux fidèles), la messe en latin. La messe d’aujourd’hui est aussi appelée « la messe Monti ». Le cardinal Monti la standardisait après le concile de Jean XXIII.

Pape Jean XIII. Le pape qui par son concile Vatican II modernisa l’église catholique

Le concile Vatican II simplifie la liturgie, demande une participation des fidèles à la messe, demande que la messe se dise dans la langue du pays (langue vernaculaire) et abandonne presque totalement le latin. Une décision soutenue et renouvelée par le pape François qui a publié une note sur les « traditions et habitudes » le 16 juillet 2021 rappelant que la messe doit être dite dans « la langue vernaculaire », donc dans la langue du pays. Mais : malgré les décisions du concile, d’après Ouest France, on dit la messe dans la cathédrale de l’évêque avec le dos aux fidèles en latin, évoquant une permission de l’évêque (à l’époque Monseigneur le Boulc’h). Monseigneur Cador, fraîchement installé comme nouvel évêque, aura fort à faire dans sa cathédrale et dans son évêché.

Le concile enfin parle du « peuple de Dieu » qui inclut le prêtre. La différenciation entre abbé et fidèles est abandonnée, ce qui signifie qu’on abandonne la position du prêtre décrite à l’époque par Pie X et Pie V. La conséquence : le prêtre ne doit plus lire la messe avec le dos aux croyants, mais se tourne vers les fidèles. L’autel devient une « table de travail » visible, ainsi que ses mouvements dans l’espace de l’autel. La messe devient un dialogue entre le curé et les fidèles qui entrent dans l’espace de l’autel pour lire la lecture et les prières. En plus, le concile demande aux prêtres d’expliquer l’évangile dans son contexte « historico-critique ».  

Longtemps abandonnées, on revoit les mains jointes pour la prière .

Le curé moderne en France, comme il a été inventé il y a 62 ans, rempli beaucoup de fonctions que l’Etat ne peut pas remplir après la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Puisque l’abbé n’est plus au dessus des croyants mais fait partie du « peuple de Dieu » il est la consolation dans la catastrophe, il est une instance morale, un soutien pour la femme et l’homme, il garde le contact avec les croyants, est plus ou moins leur partenaire. Dans ces fonctions il se crée une souveraineté naturelle. Le père Tournerie à Pontorson avait rempli toutes ces fonctions pendant qu’il était curé à Pontorson, ce qui lui avait valu un grand respect.  

Le concile abandonne le monopole de l’église en reconnaissant qu’il existe d’autres mouvements du christianisme qui possèdent « des éléments de vérité ». Et il abandonne une directive de Pie X en déclarant « expressis verbis » la liberté religieuse pour les croyants. 

 Un des conseillers des évêques allemands pendant le concile s’appelle Joseph Ratzinger, le futur pape Benoït XVI. Parmi les participants au concile on trouve aussi les papes élus ultérieurement Jean Paul I et Jean Paul II. Lors du 50ème anniversaire du concile,  Benoît XVI soutient et élargit cette position en invitant l’église à revoir sa position envers le judaïsme, une position élargie aujourd’hui à l’Islam. Ces nouvelles positions représentent à elles seules une rupture avec des positions traditionnelles. C’est pourquoi on peut regarder ce concile comme révolutionnaire pour l’église. Le mot « liberté » apparaît. L’église arrête de vouloir décider de la vie spirituelle des croyants. On la libère aussi de ses propres entraves spirituelles. Par ces libérations l’église catholique se place dans une nouvelle situation, celle d’une “église mondiale”.  

L’église de Pontorson.

Et qu’est-ce qui se passe après ?

Il faut s’habituer à la soutane, ce long vêtement fermé de 33 boutons. On ne la connaît plus depuis 1962, alors que les prêtres s’étaient habitués à porter un costume avec un col romain. Mais elle revient en force avec la nouvelle génération des prêtres de la communauté Saint Martin. C’est leur uniforme qui rappelle cette église inflexible dans les idées de jadis. Et il faut s’habituer à une nouvelle piété étonnante et paraîssant exagérée de nos jours. Depuis que Saint Martin a pris des paroisses de la Manche, on trouve de nouveaux des croyants avec des gestes qu’on pensait révolus. On s’agenouille de nouveau et on le fait même devant le prêtre en communiant, ceci par terre parce que les bancs dans les églises n’y sont pas préparés. Et les mains jointes reviennent à la mode pendant la messe.  

Les jeunes prêtres de la communauté Saint Martin en soutane.
photo: communauté de Saint Martin

Il y a des gestes qui ne correspondent pas tout à fait au concile de Jean XXIII et qui frôlent l’indécence. A Pontorson un des trois prêtres qui y résident se fait encenser comme au bon vieux temps de Pie X qui avait accordé un rôle supérieur aux abbés. On l’encense, on encense l’évangile, on encense tous les côtés de l’église avec les fidèles et on s’incline chaque fois, comme dans les grandes messes solennelles. L’abondance de l’encens rempli bien l’église de Pontorson. Le cérémoniel surplombe le contenu.

Et pourtant, ce que les fidèles vivent à Pontorson n’est rien par rapport à ce qui se passe dans la cathédrale de Coutances, dans le siège même du nouvel évêque Cador.

Scène de l’encensement pendant la messe dominicale dans l’église de Pontorson le 15 octobre 2023.

D’après l’Ouest France du 20 juin 2023 on retrouverait le latin pendant la messe. D’après ce quotidien les deux prêtres de la cathédrale auraient banni toutes les jeunes filles parmi les enfants de chœur et n’auraient gardé que des garçons. Le journal rapporte qu’un garçon serait prévu pour soulever le vêtement de célébrations lorsque le prêtre s’agenouille.  Les jeunes prêtres recréent l’image de l’église comme une société d’hommes, excluant les filles et les femmes. Et en utilisant un jeune garçon comme porteur de chappe, les curés créent un malaise sans se soucier de l’impression et d’un certain souvenir qu’ils provoquent. Pourtant le texte de la constitution pastorale Gaudium et Spes du concile interdit « toute forme de discrimination (…) à cause de l’appartenance à un genre (…), (…) puisqu’elle est contraire au plan de Dieu ». L’exclusion des filles serait alors une violation du texte (No.29) constitutionnel du concile de Jean XXIII ? Est-ce que cela intéresse vraiment les prêtres à Coutances ? Pendant la messe d’ordination de Monseigneur Cador d’après la transmission sur Youtube on constate que les enfants de choeur sont tous des garçons.

Par contre il serait peu pensable de se dispenser des femmes dans la paroisse de Pontorson. Cette paroisse se trouve dans les mains d’un groupe rôdé de femmes dans le presbytère sans lequel le fonctionnement journalier de la paroisse s’écroulerait. Seulement : on remarque que les femmes ne jouent plus aucun rôle dans la distribution de la communion.

 D’où vient ce comportement ? Et : qui est la communauté Saint Martin ? Inforama traitera ces questions dans un deuxième article à paraitre.

Le nouvel évêque de l’évêché Coutances/Avranches qui couvre le département de la Manche, Monseigneur Cador montre l‘Evangile aux fidèles après son ordination le dimanche 15 octobre 2023.

Annotations

  1. Les femmes

La position de l’église catholique envers les femmes est étrange. D’un côté l’apôtre Paul de Tarse rappelle l’égalité de tous les baptisés dans l’épître aux Galates, comme le texte constitutionnel du concile. De l’autre il y a toujours le discours sur la femme, déterminé par une soi-disante « loi naturelle » : la femme a vocation à obéir, à aider, à se taire, à servir les enfants, les malades, les pauvres, les vieux (d’après le dominicain François Boespflug). Ne parlons pas de Saint Augustin ou de Thomas d’ Aquin qui expliquent que l’homme est le supérieur et la femme la subordonnée. Le concile n’a pas voulu prendre une décision sur l’ordination des femmes.

Le pape Paul VI successeur de Jean XXIII. Il console les femmes à la fin du concile, mais leur interdit la contraception dans son encyclique “humanae vitae”. Cette encyclique déclenche une tornade dans la discussion ecclésiatique mondiale. Une organisation puissante de catholiques laïcs en Allemagne publie un texte, disant que chaque femme a le droit de décider elle-même de la contraception. “Humanae vitae” traite la vie humaine au moment où la pillule arrive sur le marché. Elle change la vie des femmes.

Mais le Pape Paul VI a énoncé une vision sur les femmes dans son discours de clôture : « L’heure viendra, elle est déjà là, où la vocation de la femme se développe pleinement, où la femme aura une influence, arrivera à des responsabilités jamais atteintes jusque là. . . «  Le pape avait raison pour la société civile, mais pour son église?

 Et quelle sera, leur vie entière; l’impression de ces jeunes filles de Coutances d’avoir été rejetées de leur office par un prêtre parce qu’elles sont des filles. ?

La citation de Paul VI est une traduction en français de la version allemande du texte.

2) Le Pape Pie X

Le pape Pie X est un réformateur pour l’église, mais un réformateur de l’intérieur qui voulait renfermer l’église contre le modernisme. Il a installé la règle baptême-communion-confirmation qui est toujours valable. Il renforce la position du curé. Le prêtre est le contact direct avec Dieu. Les laïcs sont en dessous. Il avait interdit aux catholiques de participer à des élections démocratiques. Et il souhaite pouvoir déterminer ce que les catholiques ont le droit de lire. Mais : mettre un livre sur l’index ecclésiastique, se transforme comme moyen de publicité et de marketing avec l’évolution de la société moderne. Lorsque la France vote la séparation entre l’Eglise et l’Etat, Pie X sort du concordat avec la France. Une partie de la France reste néanmoins dans un concordat : l’Est de la France avec l’Alsace et le département de la Moselle restent dans le Concordat avec l’Allemagne suite à la guerre de 1870/1871. Une décision remarquable de Pie X : il béatifie Jeanne d’Arc.

3) France – Allemagne

Deux cardinaux forts déterminent directement au début du concile le pouvoir entre les évêques et l’administration du Vatican. Josef Frings de Cologne et Achille Lienart de Lille arrivent à convaincre les évêques de prendre le pouvoir en main. Les deux délégations française et allemande coopèrent pendant le concile. Après, les chemins se séparent. Les Allemands luttent pour une plus grande influence des femmes dans l’église, vont jusqu’à demander leur ordination au pape François. Ils sont sous la pression d’une église protestante qui connaît des prêtres-femme et des évêques-femme, qui connaît même le mariage des prêtres protestants. La France s’en va sur le chemin conservateur et ne suit pas les allemands dans leur politique d’ouverture.

 Cet article est une divulgation et un décryptage du sujet basé sur des recherches de documents. L’auteur de l’article est catholique.

Les sources :

  • La Bible;
  • Documentation de la TV Bavaroise (BR) sur Benoît XVI et le concile Vatican II ;
  • Luc Ferry : « Philosophie et Christianisme pour les nuls » ;
  • Stéphanie Le Bars : « Les principaux apports du concile Vatican II », Le Monde du 11 octobre 2012 ;
  • Audrey Vairé : « Au Mont, le recteur a développé sa fibre populaire » et « De Saint Martin à Saint James », Ouest-France, édition du 10 août 2023 ;
  • Thierry de Rauglaudre : « Communauté Saint Martin », documentation en sept articles, lesjours.fr ;
  • Tom Savary, « Diocèse : le conservatisme prend-il le pouvoir ? » et « Cette paroissienne, heurtée, assure souffrir en silence » et « Pourquoi les prêtres conservateurs gagnent du terrain ? », Ouest-France édition du 20 juin 2023.
  • « Pius X », Wikipedia édition en langue allemande
  • « Communauté Saint Martin », Wikipedia, édition en langue française
  • Le pape Pie V, wikipedia
  • Le pape Paul VI, plusieurs articles internet
  • Le pape Jean XXXIII, Wikipedia
  • “Zweites Vatikanisches Konzil”, Dokumentation TV Bavaroise/Benoît XVI et Wikipedia

La version allemande de Wikipedia se distingue considérablement de la version française. Dans la version allemande est traitée largement la question de l’ordination des femmes, plus les mots de clôture du concile. On parle aussi des critiques et du traitement du concile dans la presse, deux sujets qui n’ont pas lieu dans la version française.

  • « IIème concile œcuménique du Vatican »,  Wikipédia, documentation en langue française.

 La version française se distingue considérablement de la version allemande. La discussion sur le rôle de femmes n’y existe pas. Manquent aussi les paroles du pape Paul VI qui clôturent le concile.

L’abbé Don Romain Farque, curé de Pontorson, a été sollicité deux fois pour un entretien. Il n’y a pas répondu.   

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