Et si enfin on bougeait pour le transport public ferroviaire dans la baie du Mont-Saint-Michel des côtes normandes et bretonnes ? Les politiques bretons ont lancé publiquement l’idée d’une ligne ferroviaire entre Granville, Folligny, Avranches, Pontorson, Pleine-Fougères et Dol de Bretagne. Une ligne locale de train donc, qui relierait les bassins de vie indépendamment des « frontières administratives ». Point de départ de cette discussion qui va se mettre en route inévitablement entre Bretons et Normands : l’étude de la région Bretagne sur une simple halte ferroviaire à Pleine-Fougères.
Lors de la réception de Louis Thébault maire de Pleine-Fougères, le président de la communauté des communes de Dol de Bretagne, Denis Rapinel, a évoqué ce projet : « Il faut enfin qu’une ligne de train de la Baie – Granville, Folligny, Avranches, Pontorson, Pleine-Fougères, Dol de Bretagne – se fasse. » Une ligne cadencée avec plusieurs trains par jours qui lierait les villages et les villes dans les bassins de vie du sud de la Manche et dans les terres enclavées de la Bretagne.
Ceci n’est pas une mince affaire. La Bretagne a travaillé pendant des années pour structurer un réseau intérieur qui possède son point central dans la gare de Rennes, mais qui connait aussi des lignes décentralisées comme Dol de Bretagne/Dinan avec des haltes dans de petites villes comme Plerguer. Cette structure intra-régionale achevée, on peut commencer à faire un nouvel effort pour désenclaver des cantons comme Pleine-Fougères.
Il y a 153 ans la Bretagne avait – pour des raisons économiques – relié les villes de Vitré et de Fougères avec Pontorson et le Mont-Saint-Michel. De cette ligne s’est développé le tourisme du Mont-Saint-Michel. Une ligne qui n’avait jamais été appréciée par les hommes politiques de la Baie. Mais de cette ligne s’est développé au 19ème siècle tout un réseau de petits trains dans le Sud de la Manche. Lorsque la voiture avait découvert le monument, le conseil général de la Manche de l’époque avait fermé la ligne ferroviaire vers le Mont-Saint-Michel par manque de rentabilité. Avec la création de la SNCF tout le réseau de petits trains liant les petites villes disparaît. Les bus n’ont jamais pu remplacer ce réseau. Les gares vides comme à Pleine-Fougères, Avranches, Pontorson en sont des témoins. D’autres bâtiments le long des anciens trajets ont trouvé un avenir comme maison d’habitation ou d’administration. Une grande ligne de Cherbourg à Brest, pensée par des raisons stratégiques militaires, s’est faite à l’époque. Pour le sud de la Manche elle est devenue une ligne de troisième catégorie Rennes-Caen, avec deux à trois trains par jour qui ne relie plus vraiment les bassins de vie entre Avranches et Dol de Bretagne. Et puisque les lignes régionales de TER sont administrées par les régions, l’interconnexion entre les bassins de vie dans la baie du Mont-Saint-Michel entre Normandie et Bretagne n’est pas vraiment la priorité du conseil régional de la Normandie.
Dans les transports publics, la Normandie pose problème. La région n’a pas de vrai centre. Il y a Rouen, Le Havre, Cherbourg, Caen. Chacune des ces villes est liée à Paris. Une infrastructure ferroviaire comme en Bretagne n’existe pas. Entre la région pays de la Loire et la Bretagne existe une inter-connexion des trains. Ce qui a un sens avec les centres comme Nantes et St. Nazaire. Mais dans le Département de la Manche on a cette vieille structure nord-sud des trains avec une seule ligne. Pour aller d’Avranches à Coutances ou à St. Lô il est préférable de prendre un bus. Le train existe mais ne roule que deux fois par jour et ceci pendant des horaires sans intérêt. Contrairement à la Bretagne, la Normandie ne dispose pas d’un réseau d’interconnexion férroviaire.
Le voisinage des deux petites villes trouve ses raisons dans le même bassin de vie. Pour les Pontorsonnais, la Bretagne est plus proche que les centres de décision du Département de la Manche ou de la région. L’idée d’institutionnaliser une coopération, évoquée pendant le mandat d’André Denot, ne s’est pas réalisée parce que les « frontières » administratives ont été un obstacle insurmontable. Il y a pourtant des exemples qui réussissent. Deux « bêtes politiques », tous deux ministres et maire de Metz et de Nancy, André Rossinot et Jean-Marie Rausch, mort à l’âge 91 ans la semaine dernière, ont réussi à faire de la vallée de la Moselle – dévastée par une industrie sidérurgique mourante – une vallée de prospérité en dépassant politiquement des frontières administratives.
Relier le Sud Manche et les territoires enclavés d’Ille et Vilaine comme Pleine-Fougères pose d’autres problèmes. Il y a une sorte d’animosité ou de jalousie entre les Normands et les Bretons. Dès qu’on parle de coopération on entend une phrase stéréotype : « La Bretagne ne paye pas/ne paye jamais. La ligne Caen-Rennes est entièrement financée par la Normandie ». Une telle argumentation ramenée seule au financement bloque une discussion sobre sur les problèmes à résoudre. Sur le plan de bassins de vie il semble qu’on ait dépassé ces animosités. Le maire de Pontorson, André-Jean Belloir est régulièrement invité par Pleine-Fougères pour des manifestations et a participé à la réception de Pleine-Fougères pour le nouvel an. Le président de la communauté de communes, le député de la circonscription, le sénateur l’ont salué particulièrement, comme le maire de Pleine-Fougères, qui, lui, est régulièrement invité à Pontorson.
Les auspices de coopération entre Normandie et Bretagne ne sont quand même pas mauvais. La baie du Mont-Saint-Michel s’étend sur un plan territorial beaucoup plus largement en Bretagne qu’en Normandie. Les restrictions qu’on établit actuellement sur le plan de la naturalisation de la baie ou du développement de la baie concernent toute la côte bretonne jusqu’à Cancale. On se trouve alors dans un bassin qui a des intérêts communs. Ces restrictions sur la base de la Cop 21 nécessitent un élargissement des transports publics. Dans ce bassin de vie c’est de préférence le train. Alors : le président de la communauté de communes sait de quoi il parle.
L’idée d’une ligne intercommunale des chemins de fer entre Granville, Folligny, Avranches, Pontorson, Pleine-Fougères et Dol-de-Bretagne n’est pas étrangère à la pensée dans le Sud Manche. André Denot, conseiller départemental, dans un des entretiens avec Inforama : « Il est évident qu’en frais kilométriques un bus est moins cher qu’un train. Mais le train est plus accepté que le bus. Il faudrait installer une liaison ferroviaire cadencée locale dans nos bassins de vie ». Et le maire de Pontorson, dans un entretien antérieur avec Inforama : « Pontorson est plus orientée vers la Bretagne ». Peu connus sont les contacts qui existent entre les associations des deux villes. Les deux comités de fêtes sont en contact. Dans les grandes expositions, les fêtes, on trouve toujours des Normands et des Bretons ensemble. On se connaît.
Alors : l’idée d’une ligne ferroviaire locale dans un bassin de vie est depuis longtemps une idée commune. Prononcée publiquement du côté breton elle devrait trouver son écho du côté normand. Reste le financement pour lequel une solution semble possible parce qu’on la souhaite des deux côtés de la « frontière administrative ». Il faudra pourtant encore quelques années pour que l’idée se réalise. Cela fait seulement neuf ans que Pleine-Fougères lutte pour sa halte de train.