On mange bien chez Phil

Le bâtiment dans la rue de Rennes à Pleine-Fougères n’a rien d’extraordinaire. S’il n’y avait pas de terrasse, on ne remarquerait même pas qu’il y a un restaurant dans cette rangée de maisons. Ce serait dommage, parce qu’ on passerait sans le voir devant un lieu bien avec une atmosphère amicale, un chef de caractère et des mets remarquables.

« Phil à table » est un restaurant qui a failli ne pas se faire. Philippe Blin, le chef, a passé un jour ses vacances avec sa femme dans une maison de vacances à Cancale. Il a aimé l’atmosphère, les gens ouverts et directs. Lorsque l’année d’après il a voulu changer de pays pour les vacances, c’était Colette, sa femme, qui était stricte. « Les vacances, c’est la Bretagne ». Et l’année d’après ? . . .

Le trio qui tient le restaurant: Colette, l’âme du restaurant et la bonne fée, (à gauche), le chef Philippe et la chef de la salle, Pauline,(à droite) qui a toujours ses yeux partout. (c) wy.

Philippe et Colette se sont fait des amis, et peu à peu il y avait une idée qui commençait à tourner dans la tête de Philippe. Et s’il allait ouvrir un restaurant dans la région ? Ce sont des amis que le couple s’est créés qui lui ont fait voir le petit restaurant rue de Rennes à Pleine-Fougères. C’était une séduction à laquelle Philip Blin n’a pas su résister. Colette et lui ont acheté le lieu. Et ensuite venait le Covid. La France avait fermé la frontière. Les Belges avaient le droit de rester chez eux. Philippe Blin, un homme droit, qui ne mâche pas ses mots, qui est un faiseur, un caractère qui se plaît bien en Bretagne, fut forcé de rester en Belgique. Il ruait dans ses brancards. Mais il avait de la chance. Son banquier avait comprit la situation et se montrait compréhensif.

Il faut savoir que Philippe Blin est spécial. Il est gentil, il est poli, on peut se sentir à l’aise dans son restaurant, mais il s’est toujours compliqué la vie parce qu’il a quand même son égo. Il est sûr de lui, il sait ce qu’il veut, il fait son chemin. Il ne cherche pas la vie facile, mais : c’est peut être pour cela qu’il est un excellent cuisinier et gastronome.

 L’école déjà n’était pas sa tasse de thé. Il l’a quittée à l’âge de 14 ans. Un ami de son père lui a ouvert son chemin de vie en parlant avec un restaurateur qui en fin de compte voulait bien le prendre comme apprenti et pour voir s’il avait du talent pour la cuisine. Mais là les choses se corsent. Si on a la chance de recevoir sa formation dans un établissement de haut niveau on apprend beaucoup, mais on a la vie dure. Il faut se maintenir. Le jeune Philippe est admis chez un des numéros un de la cuisine belge/française. Pendant un an le chef ne lui adresse même pas un bonjour. Philippe nettoie le sol de la cuisine, nettoie les assiettes qui reviennent du restaurant. Il lui arrive ce qui arrive toujours à ceux dont on voit très tôt le talent et la personnalité : on les fait faire les pires des travaux pour voir s’ils tiennent. Philippe ne dit rien. Il veut devenir cuisinier et s’il est nécessaire de faire les travaux sales, il les fait.

Après un an le chef lui dit « bonjour » le met avec les autres, d’abord à faire tout ce qui est froid, ensuite peu à peu le chaud. Il commence à apprendre la haute cuisine dans le moindre détail. Et celui qui détestait l’école, qui ne voulait pas apprendre, apprend. Il travaille pendant deux ans avec Gérard Passedat, chef trois étoiles, ensuite au Negresco à Nice et avec Jacques Maximin, chef deux étoiles. Et l’homme qui, à l’âge de 14 ans, quittait l’école parce qu’il ne voulait plus apprendre entre finalement dans un des établissements des plus renommés de la restauration : l’école de l’hôtellerie de Lausanne. Il en sort avec un diplôme et la mention « bien ». Il rentre en Belgique et met des noms des plus renommés à son parcours : la Taverne du Passage, le Vasquez à Bruges, devient chef du Hilton, y est en même temps responsable pour  les achats et ensuite encore un pas de carrière : il travaille au Palais Royal. Il a 45 ans et il est au top. Et tout d’ un coup, il abandonne. Il arrête tout. C’est le «  burnout » classique. Il raconte : « Je ne pouvais plus, je ne dormais plus, la nuit au lit, je réfléchissais sur le lendemain, les plats, les gens, quoi leur servir. Il fallait dire stop ».

Faisons un petit saut dans le temps. Philippe Blin gère son petit restaurant de 23 places à Pleine Fougères. Et il est déjà devenu un lieu pour des initiés. On peut y inviter l’ambassadeur, ou on y trouve le recteur du Mont Saint Michel qui veut parler tranquillement avec deux jeunes prêtres pendant le déjeuner. Le maire prend son café chez lui. Quand les gens de la région veulent présenter « leur » restaurant avec des menus intéressants ils y invitent leurs amis anglais, américains ou allemands. Pourquoi ? Parce que c’est un petit lieu intime et lieu de rencontre en même temps. Il y a toujours deux moments pour la qualité d’un restaurant et pour son attirance. Les mets doivent être bons et on doit se sentir à l’aise, choyé comme clients, bien servi. Phil réunit les deux dans une atmosphère amicale.

Qu’est-ce qu’il fait pour avoir ce succès ? « Rien », dit-il. Et pourtant, il n’applique que ce qu’il a appris, présente le niveau qui est normal pour lui sur le plan de son petit restaurant. Tout doit être bon, tout doit être frais, les clients doivent être contents à la fin. A vrai dire Philippe Blin est quelqu’un qui devient malade s’il ne peut pas travailler et faire de bons plats. Il a 61 ans et il aurait pu arrêter depuis longtemps. Colette avait espéré qu’il arrête, mais maintenant elle s’occupe des boissons et de la caisse. « Le chef » a en plus eu la chance de trouver un « ange d’or » pour la salle. Pauline est la chef de la salle, elle a les yeux partout, elle devine les souhaits des clients avant qu’ils ne les prononcent. Naturellement elle connait leur nom et leurs habitudes s’ils viennent plus souvent.  

« Tout doit être absolument frais », est la devise.  Juste au moment de notre entretien une jeune agricultrice entre. Elle apporte un carton avec des légumes. Un court regard, un sourire, un merci : on sent que les deux se sont compris et que le chef est content. Lorsque Philippe Blin a pris le restaurant, il avait ses idées. Il a fait le tour des agriculteurs pour trouver les bons produits. Pas facile de trouver les bonnes pommes de terre qui conviennent à des frites comme on les attend chez un belge. Il a cherché pendant deux mois parce que les Bintjes qui garantissent la qualité des frites aux Pays-Bas et en Belgique, ne poussent pas dans les terres sableuses de la baie. Il a fait le tour des bouchers pour la viande et des pâtés, qu’il fait partiellement lui-même. Il a discuté avec le boulanger. Et il a trouvé un chocolatier pour ses desserts. On sait qu’il est exigeant. Mais le restaurateur et les artisans de la bouche s’entendent bien. 

Philippe Blin ne veut pas servir la cuisine étoilée. Il souhaite faire de bons plats. « De la bonne bouffe » dans son langage parfois cru. Et des plats de bonne qualité – toujours. Comme actuellement dans la période des moules.  Il en a trouvé chez le mytiliculteur Busson-Lecharpentier du Vivier-sur-mer qui lui livre de grosses moules de qualité AOP. Et puisque, tout en s’adaptant à la cuisine française, il ne peut pas nier son origine belge, il ne les propose pas seulement de facon marinière mais aussi à l’ardennaise avec du fromage et des croûtons de jambon. Actuellement les gourmets et les gourmands dans son restaurant en mangent 150 kilos par semaine. Les poissons qu’il propose sur son ardoise viennent du marché de Saint-Malô, ou directement des bâteaux.  

Le cuisinier a une idée claire de ce qu’il veut proposer aux femmes et aux hommes qui se retrouvent à sa table : des repas de qualité à un prix abordable, préparés pour chaque client dans sa cuisine semi ouverte où on peut le regarder œuvrer. Le midi c’est un repas de midi pour la pause, le soir un repas gourmand et le weekend un repas semi gastronomique.

Il y a des petites finesses qui font quand même remarquer une certaine classe du restaurant. « Phil à table » est gravé sur les verres à eau. Et le champagne peut être servi dans des verres spéciaux des maîtres restaurateurs. Le champagne, lui, est une marque qu’on ne peut pas acheter dans le commerce. Il s’agit d’une cuvée mise en bouteille uniquement pour la grande restauration. Il y a des signes d’excellence dans ce restaurant qui montrent quand même l’ancien éclat du chef, dont il ne se vante pas.        Il ne cherche plus cette gastronomie étoilée. Il propose une gastronomie où l’on peut bien manger avec des produits de qualité et où en plus le coup d’œil sur la carte des vins vaut la peine. Ce travail traditionnel, qui pour lui « est normal », lui vaut quand même des recommandations. Trip Advisor l’a trouvé et fait de lui un ambassadeur de Pleine-Fougères. Le collège culinaire de France l’a reconnu comme restaurant de qualité. Et par décret préfectoral il a été reconnu « Maître Restaurateur ».

Quelle vie alors ! A l’âge de 14 ans il lave le sol d’une cuisine, fait la vaisselle et enlève les ordures d’une cuisine. Ensuite il commence une carrière dans la haute cuisine qui le fait arriver à l’âge de 61 ans à la sécurité de proposer une bonne table abordable dans son petit restaurant à Pleine-Fougères. Il a tout fait dans sa vie de cuisinier. Quel est la motivation aujourd’hui ? – Le plaisir ? « Je pense que oui », dit-il.

A la fin trois remarques:

  • Il fait de bonnes frites à la belge, servies dans un cornet de porcelaine qu’on peut manger avec les doigts en les trempant dans la mayonnaise.
  • Il change de menu chaque semaine.
  • Il a toujours un menu belge. On recommande ici sa carbonnade.

Phil à table, 8, rue de Rennes, 35610 Pleine-Fougères, Tel. 00 33 (0) 2 99 48 52 37

Il est préférable de réserver.

Auteur/Autrice

2 thoughts on “On mange bien chez Phil

  1. Le top du top lieu à découvrir un grand chef aimable et serviable et une qualité exceptionnelle de tous ses produits et de sa cuisine quelle chance d’être domicilié à Pleine-Fougères

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top